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qu’une : les mauvaises lois. » [Condorcet, Réponse à d’Eprémesnil, 1779.] C’est comme s’il disait de la question morale qu’elle est une « question sociale, » et de la « question sociale » qu’elle est une question de politique ou de législation ; — et, pourquoi pas une question de forme de gouvernement, de république ou de monarchie ? On ne le croit aujourd’hui qu’en France, à l’école primaire, et, pour notre malheur, dans nos conseils municipaux !

Il y a vingt raisons pour que la politique soit impuissante, nous n’avons garde de dire à résoudre, car nous croyons qu’on ne la résoudra jamais, mais à faire avancer la « question sociale. » La principale en est celle-ci, que la politique ne se soucie que des intérêts, et le mécanisme en est peut-être même faussé dès que le sentiment s’en mêle. Telle était du moins l’opinion de Machiavel, de Frédéric et de Napoléon. Mais les progrès de la question sociale ne dépendent que de la « bonne volonté » de ceux qui sont nantis. Faites des lois entre politiciens pour modifier dans son fond le régime de la propriété : vous soulèverez aussitôt contre vous la coalition de tous les possesseurs, et une révolution même ne réussira pas à en triompher. La Révolution française, qui s’est résumée, selon le mot de Taine, en une « translation de propriété » n’en a pas été une modification, et, d’une classe à une autre, de la noblesse ou du clergé à la bourgeoisie et au paysan, la propriété s’est transmise telle quelle, avec ses droits utiles, ses privilèges et ses modalités. Si les « socialistes » réussissent à renverser un jour la société capitaliste, on peut prédire que ce ne sera qu’avec beaucoup de capitaux et la complicité du plus grand nombre des capitalistes. Il faut en revenir à la vérité du dicton : Quid lege sine moribus ? et la traduction que j’en propose est la suivante : « Les lois ne peuvent rien, ni contre, ni pour les mœurs. » Ce n’est pas ici le domaine de l’action politique. La « question sociale » le dépasse en tout sens, en profondeur comme en étendue. Pour faire avancer la « question sociale, » il faut que le citoyen, chaque citoyen, en fasse personnellement son affaire, moins comme citoyen que comme homme ; et, sinon toujours, mais le plus souvent contre son intérêt, il faut que, de la faire avancer, chacun de nous se fasse une obligation de conscience. « Notre civilisation, dit éloquemment le pasteur Herron, dans un discours intitulé le Message du Christ, aux riches, — et le pasteur Herron, je le répète, est un Américain parlant à des Américains, — notre