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mort ne tirait pas le rideau sur ses drames, ils seraient en effet d’un ridicule achevé.


Restent les médecins. — Le médecin entre en scène, un composé de Tirésias et de la Parque, l’oracle et la fatalité des temps nouveaux. Il hante par métier les ruines de la vie. Quoi qu’il fasse, et comme elle, il condamne toujours à mort ; quand il est intelligent, c’est par lui qu’il commence. Il a pris dans la ville moderne l’importance bouffonne de la Pythie : personne n’y croit et chacun l’interroge. On a beau savoir le mystère de l’antre et du trépied, ce truchement de la mort gouverne par la peur. Sa gaîté est sinistre. C’est l’honnête Caron, qui ricane toujours, et à qui l’on doit se confier, pour le voyage.

Ibsen a modelé dans le bronze ces prêtres de la cendre. Ils sont d’une atroce sagesse. Comme ils savent le fin mot de la tragédie, ils le cachent ; forcés de le dire, ils le lâchent en riant à demi, dans un juron de colère, d’un ton brutal et cynique. Le bon médecin serait donc le mauvais homme ? Ibsen le laisse entendre : car le meilleur homme est un médecin qui tue. Parmi tous les comédiens, ce sont les plus redoutables, quand ils prétendent suffire à la vie, et qu’ils traitent les cœurs par la même méthode que les corps. Le bon médecin, dit Ibsen, est celui qui trompe le malade. Mais lui-même s’est mis dans la peau du médecin, qui ose dire la vérité aux hommes, et veut les nourrir de ce poison : non seulement il ne guérit personne ; mais tout l’hôpital se lève en révolte contre lui et le lapide. Ce médecin-là n’a plus qu’à laisser la médecine et les malades. La vraie science n’a ni espoir ni flatteries ; elle ne s’occupe pas des hommes.

Le médecin qui déclare la guerre à ses cliens, et leur tourne le dos, l’excellente idée ! Ils s’en porteront mieux, et lui aussi. Qui nous guérira de la médecine, qui se prend pour une religion ? Les médecins ne nous empoisonnent pas moins de leurs vérités que de leurs drogues. Qu’ils s’exercent à mentir, pour leur salut et pour le nôtre. Leurs hypothèses mêmes sont funestes : si la nature raisonnait à la manière des médecins, le monde serait déjà mort. Ibsen a jeté un profond regard sur la farce de notre vie, qui est pleine de médecins, à l’ordinaire des farces.

Il sait que le bon médecin trompe et aide à toute tromperie. C’est à lui de tuer sans rien dire, ou de frapper en bouffonnant,