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serait apte à remplir ; autant dire que c’est toutes les affaires qu’il regarde de haut, comme une besogne pesante et qui n’attire pas. Ses pensées ne sont pas tournées vers les affaires, mais vers ses livres, la littérature, la philosophie, le latin. Or, inutile de s’engager dans la bataille des affaires si on ne leur donne pas tout son cœur ; les affaires réclament le tout d’un homme. »

Cependant, ces princes des affaires sont les mêmes hommes qui ont donné les sommes d’argent les plus considérables pour fonder et pour élargir les universités américaines. M. Carnegie a offert à l’Institut de Washington, baptisé de son nom, une fortune qui permettra à cette Université de disposer en douze mois d’autant d’argent que la Société royale de Londres a pu en dépenser dans le dernier siècle[1]. M. Rockefeller, en une seule année, a gratifié l’Université de Chicago d’un don de 7 millions de dollars. Enfin, de 1890 à 1900, les donations privées aux États-Unis ont atteint le chiffre de 114 030165 dollars. Tout cet argent, presque sans exception, provient des largesses d’hommes d’affaires heureux, qui sont entrés dans les bureaux à seize ans, et qui, à vingt-cinq ans, figuraient déjà comme associés dans leurs Compagnies, c’est-à-dire à l’âge où les gradués de collège commencent l’existence.

La contradiction qui apparaît entre le préjugé que M. Carnegie professe contre l’éducation universitaire et les efforts qu’il fait pour répandre cette éducation s’atténue si l’on considère que le corps enseignant n’est pas seulement appointé, mais contrôlé par un président qui, dans l’occasion, agit comme le représentant du millionnaire bienfaiteur. On veut que le jeune Américain soit éduqué, mais à la condition que cette éducation l’arme pour la vie qui l’attend. Les cours eux-mêmes sont en train de subir des transformations qui sont définies en ces termes par un professeur de l’Université : « Nous sommes en face d’un mouvement qui conquiert une Université après l’autre. Ses caractéristiques sont d’abord l’intention consciente de grouper les cours pour qu’ils servent d’entraînement direct aux futurs hommes d’affaires ; ensuite, la multiplication des cours techniques qui s’appliquaient déjà aux différentes branches de l’activité commerciale. »

Les collèges qui donnent une instruction spéciale sur des matières telles que les chemins de fer, les transports, le maniement

  1. M. Carnegie a donné 10 millions de dollars à l’Université qui portera son nom-