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Depuis cinq ans octogénaire, mais ayant conservé, quoique impotent, toutes ses facultés intellectuelles, il vivait à peu près séparé de sa famille, qui, d’ailleurs, ne tarda pas à émigrer. Il n’attachait plus de prix qu’au plaisir qu’il goûtait dans la société de son amie. Quel qu’eût été le caractère de leurs relations antérieures, son âge, celui de Mme Hérault de Séchelles, qui touchait à la cinquantaine, la présence auprès d’eux de la vénérable veuve de René Hérault, ne laissaient guère de place aux commentaires calomnieux ou malveillans. Comme, d’autre part, il préférait au séjour de Montjouffroy celui de Livry, il adopta définitivement cette résidence et s’installa chez ces dames, où il était assuré de recevoir les soins que réclamait son état. La jouissance de sa propre maison, voisine de la leur, fut abandonnée à ses domestiques ; il ouvrit son parc à la population de Livry ; et, décidé à ne pas émigrer, il voulut donner une preuve de son adhésion aux doctrines nouvelles en autorisant la municipalité à célébrer dans ses jardins les fêtes civiques qui devenaient de plus en plus fréquentes.

C’est de Livry que ses hôtes et lui assistèrent aux malheurs publics (sans en trop souffrir personnellement, mais affligés à l’excès de voir figurer le dernier des Séchelles au premier rang des ennemis de la royauté. Cependant, la demeure maternelle ne lui fut pas fermée. Il venait souvent au Grand Berceau. S’il était condamné à y entendre des reproches, il y rencontrait toujours une tendresse ardente et sincère, que ne parvenaient pas à décourager ses propos. Jusqu’au jour où il devint pour ses propres complices l’objet de la suspicion qui lui coûta la vie, sa protection s’étendit sur tout ce qui lui était allié. La population de Livry elle-même en profita ; elle ne subit qu’accidentellement le contre-coup de la tourmente. Quelques nobles, familles qui s’étaient réfugiées dans cette petite commune, — les Bésigny, les Berny, les Jarjayes, — furent laissées en repos tant que Hérault de Séchelles conserva son influence[1].

Quant à lui, il poursuivait sa carrière, en homme que rien n’intimide et ne paralyse. Il avait cherché la popularité ; elle lui arrivait avec un cortège de satisfactions et de faveurs. En

  1. Au commencement de 1793, on eut à Livry le spectacle alors bien étonnant d’un mariage célébré publiquement à l’église : celui de Mlle de Jarjayes, fille de l’homme courageux qui avait entrepris de sauver Marie-Antoinette, avec M. de Berny. — Notes manuscrites de l’abbé Esnot.