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impatiente sur la Régence de Tunis. On n’a pas oublié l’affaire du chemin de fer de la Goulette, et tout ce qu’elle contenait de projets subséquens. Alors nous avons été obligés de sortir de notre immobilité, et les événemens ajournés ont dû s’accomplir.

Il en est résulté pour l’Italie une blessure dont nous ne nous dissimulions pas l’acuité : nous avons fait tout ce que nous avons pu pour la panser. L’Italie n’a certainement pas eu à se plaindre de la situation qui a été faite à ses nationaux dans la Régence. Quelque nombreux qu’ils y fussent déjà, nous les avons traités de manière qu’ils y vinssent plus nombreux encore, et on peut dire sans exagérer qu’ils ont été les premiers à profiter de l’œuvre civilisatrice que nous avions entreprise. Ils auraient été chez eux en Tunisie qu’ils n’y auraient pas été sensiblement mieux. Au bout de quelques années, il a bien fallu le reconnaître et nous en tenir compte. Cependant il restait de l’inquiétude, de la défiance même, au fond de l’âme italienne. On se demandait à Rome jusqu’où irait l’ambition de la France. On craignait de la rencontrer avec la priorité d’action que lui rendaient plus facile les positions déjà acquises sur les divers points de l’Afrique ou l’Italie pourrait un jour se porter elle-même. Rien n’était plus loin de notre pensée que de pareils desseins. Notre établissement africain est terminé à l’est : n’ayant jamais eu l’intention de le pousser plus loin, il ne nous coûtait rien de le dire. Au surplus, nous en avions déjà donné la preuve, puisque, dans nos arrangemens avec d’autres puissances, nous avions toujours respecté l’hinterland de territoires qui ne nous appartenaient pas et sur lesquels nous n’avions aucune vue. Si on a éprouvé quelquefois à Rome certaines appréhensions à ce sujet, il nous a été facile de les dissiper par des explications franches et loyales.

Ce n’est pas à nous à pousser l’Italie en Afrique, comme le prince de Bismarck nous y a poussés, elle et nous, autrefois : nous n’avons aucun motif pour la brouiller, ou pour nous brouiller nous-mêmes avec la Porte. Aussi nous sommes-nous contentés de lui dire que nous n’avions pas d’ambition qui pût éventuellement contrarier les siennes : rien de plus, rien de moins. Mais cela a suffi à éclaircir l’horizon sur lequel tant d’obscurités avaient été accumulées. Est-ce donc la première fois que nous tenions ce langage à l’Italie ? Non, certes ; mais c’est la première fois qu’elle a bien voulu l’écouter, l’entendre, nous demander les explications dont elle pouvait avoir besoin, la première enfin où nous avons pu arriver de part et d’autre à une précision absolue dans la confidence que nous nous sommes faite des objets,