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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/196

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d’ambassade, puis capitaine de dragons au Canada, aide de camp de Montcalm et brigadier ; ce capitaine de vaisseau à la carrière peu classique était le premier marin français qui eût fait le tour du monde : il s’appelait Bougainville. D’Estaing avait amené de Brest un géomètre et un inventeur d’instrumens nautiques, à qui il avait confié les fonctions délicates de major et intendant de l’armée navale ; cet homme de science allait faire preuve, au cours d’une campagne de vingt mois, des qualités complexes et multiples qui font le chef d’état-major accompli : il s’appelait le chevalier de Borda.

D’Estaing aimait beaucoup à écrire, et il l’a souvent fait avec talent. Ses papiers de toute nature, facilement reconnaissables à l’écriture menue et surchargée de ratures, — mémoires, rapports, projets, correspondances, etc., — forment la collection la plus étendue des papiers d’officiers généraux que possèdent les archives de la Marine. Mais l’homme de cabinet était aussi un homme d’action, d’allures énergiques, de décision rapide.

Appelé, le 8 février 1778, au commandement de l’escadre qu’on armait à Toulon, il avait pris à Paris, de concert avec le ministre, M. de Sartine, toutes les dispositions nécessaires. Le 27 mars, il était arrivé à Toulon. Le 13 avril, il prenait la mer avec toute son escadre. « La promptitude, disait-il en véritable homme de guerre, est la première des armes ; étonner, c’est presque avoir vaincu. » Plus tard, on lui fit un grief de la rapidité même de son départ. Il est certain que tout n’était pas entièrement prêt ; l’arsenal de Toulon, qu’il qualifiait lui-même de « cruellement avare, » n’avait pu lui fournir tout ce qu’il avait demandé et qui lui était nécessaire. Mais il voulait partir sans délai, parce qu’il le fallait : il était parti.


II

Ce n’était pas dans la direction de Brest que cinglait l’escadre de d’Estaing. Elle n’avait pas quitté les côtes de Provence pour retrouver la France sur les côtes de Bretagne. Elle était partie pour traverser tout l’Atlantique, pour aborder aux États-Unis. A cette date, la France n’avait point encore rompu officiellement avec l’Angleterre ; du moins, elle avait contracté alliance avec le nouvel État qui venait de naître à Philadelphie. C’était à la