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l’apprécier, le juger, le condamner et nous demandons si cela est tolérable. De pareils faits, s’est écrié M. Deschanel, conduisent en temps ordinaire un simple soldat devant un conseil de guerre : cesseraient-ils d’être répréhensibles pour s’être passés entre officiers ? A cette question, vive, directe, pressante, et qui portait sur le fond des choses, M. Berteaux n’a rien répondu : il a eu l’air de ne pas l’entendre. Mais alors que devient l’ancien ordre du jour de la Chambre, celui qu’elle a rappelé pour la forme, et qui invitait le gouvernement à prendre des mesures contre les faits qui lui avaient été révélés, s’ils étaient reconnus exacts. Les faits ont été abondamment prouvés ; on n’a rien fait de sérieux pour les châtier. Est-ce bien là ce qu’avait voulu la Chambre ? Il faut bien le croire puisqu’elle renonce à demander davantage ; mais le pays attendait autre chose : il attendait plus ; il attendait mieux. La majorité du gouvernement a été de seize voix. C’est maintenant la majorité des grands jours : elle était autrefois de quatre-vingts ou de cent.

Si M. Berteaux n’a rien répondu à M. Deschanel, il a bien fallu que M. Combes essayât de répondre quelque chose à M. Georges Leygues, qui l’accusait une fois de plus, en invoquant le témoignage posthume de M. Waldeck-Rousseau, d’avoir connu le fonctionnement de la délation et de n’avoir rien fait pour s’y opposer ; mais il s’est contenté de dire qu’il s’était déjà expliqué sur ce point. Le malheur est que ses explications n’ont convaincu personne : elles sont, elles seront toujours à recommencer. M. Combes cherche à créer une équivoque en affirmant que la délation existait déjà avant lui. La vérité est que le système de la fiche individuelle a commencé sous M. Waldeck-Rousseau, mais à son insu, et à partir du jour où le départ de M. le général de Galliflet a laissé entrer M. le général André. Là est le point de départ. Il y a eu peut-être auparavant quelques dénonciations isolées, car il y en a toujours ; mais le ministère actuel ne s’est pas contenté d’encourager la délation ; il l’a organisée, enrégimentée, récompensée. M. le général André l’a introduite dans l’armée par ses informateurs de la rue Cadet, et M. Combes l’a introduite dans le civil par ses délégués. Cela est devenu une politique, et cette politique, le ministère qui a décoré M. Vadécard ne l’a pas encore désavouée sérieusement. Voilà pourquoi le malaise persiste. Cette question qu’il aurait fallu vider à fond, et qu’on aurait pu alors fermer une fois pour toutes, reste ouverte et irritante comme un abcès mal soigné dont le virus malsain continue d’infecter le corps social. Le gouvernement en mourra un jour ou l’autre. Comment ? Nous n’en savons