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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/244

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il nous revient et le lendemain cherche à nous échapper, il y aurait de notre part quelque inintelligence à en être surpris. Il ne faut pas oublier que nous avons disposé de lui sans lui : nous en avons disposé avec les autres, sans nous embarrasser de ce qu’il en penserait. Sans doute nous voulons faire son bonheur en respectant scrupuleusement son indépendance et sa souveraineté ; mais peut-être n’est-il pas aussi sûr de nos sentimens que nous le sommes nous-mêmes, car nous n’avons encore rien fait pour l’en convaincre. Et quand nous l’en aurons convaincu, lui, il faudra en convaincre ses sujets, ce qui sera encore plus long et plus laborieux. Jusque-là, que faire ? Le savons-nous ?

Il serait temps de le savoir et de nous mettre en face des réalités. Ce qui vient de se passer est un avertissement dont nous pourrons faire quelque profit si nous en comprenons bien la leçon. Les vues politiques avec lesquelles nous nous sommes embarqués dans cette affaire sont évidemment trop courtes pour la conduire à bon terme, et le moment est venu d’en modifier quelques-unes. Non pas qu’il faille passer d’un système à un autre, et renoncer à pénétrer pacifiquement aussi loin que nous le pourrons avant de recourir à un autre mode de pénétration ; mais il faut tout prévoir, et il faut surtout que le sultan sache bien que nous ne renonçons d’avance à aucun moyen d’exécuter notre programme. Nous préférons les plus doux sans répudier les autres, car il nous est impossible de reculer, après les engagemens solennels que nous avons pris avec l’Europe. Nous aurions pu ne pas prendre ces engagemens ; mais, l’ayant fait, nous devons les tenir. Si on ne laisse aucun doute à ce sujet dans l’esprit du sultan, peut-être reviendra-t-il spontanément à des dispositions plus bienveillantes à notre égard. Et alors les incidens de ces derniers jours n’auraient été qu’une fausse alerte, dont nous ferons bien toutefois de garder le souvenir toujours présent pour en être moins surpris une autrefois. Nous ne sommes pas, en effet, au bout de nos peines, pas plus que le sultan n’est au bout des siennes, et c’est par un mélange continuel de modération et de fermeté, surtout de fermeté, que nous atteindrons le but au meilleur compte. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si, parce que le sultan ne veut pas que M. Saint-René Taillandier aille à Fez, M. Saint-René Taillandier doit effectivement ne pas y aller. Nous sommes porté à croire qu’un temps précieux a déjà été perdu et qu’il ne faut pas en perdre davantage. Nous n’avons pas essayé encore ce que peut sur le sultan la présence personnelle de notre ministre. On a dit au premier moment, non