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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/331

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la ville : le lendemain elle était dame du palais ! Je fus non moins frappé du château gothique de Lowenbourg, qui a gardé jusqu’à la vie du moyen âge. Pour compléter l’illusion, les gardiens, ainsi que le concierge et toute sa famille, y sont costumés comme au XVe siècle. Le Grand Maréchal m’y donna un déjeuner où nous fûmes servis par les filles du concierge comme au temps de la reine Berthe.

Je fus également invité par le Roi à un très beau déjeuner avec toute sa Cour. Plusieurs fois il me retint à causer dans son cabinet de sa situation personnelle et de la politique de l’Empereur. Je n’ignorais pas ses velléités d’indépendance, et, un jour qu’il m’avait parlé avec humeur de la conduite des généraux français, je lui dis : « Sire, quelque couronne que la volonté de votre illustre frère place sur votre front, le plus beau titre de Votre Majesté sera toujours, aux yeux de l’Europe comme de la postérité, d’être le frère d’un grand homme. Tant que vous consentirez à rester l’instrument de ses desseins, nos maréchaux s’inclineront devant vous ; mais, si vous voulez par intérêt personnel ou politique contredire ses projets, nos simples capitaines se croiront relevés de leur obéissance. » Ma hardiesse ne fut pas trop mal acceptée, et je partis satisfait de ses bontés avec son petit ordre en diamans et son portrait sur une fort belle boîte que la nécessité me fit vendre plus tard. Toutefois, j’étais moins édifié de son entourage. Comme partout, il y avait là, dans les grandes fonctions civiles et militaires, des hommes considérables du pays, plus ou moins ralliés à sa couronne ; puis, des Français qui avaient accompagné le Roi, parmi lesquels, les uns, comme le général Eblé, M. Siméon, M. et Mme d’Esterno, faisaient honneur au nom français, les autres ne cherchaient qu’une occasion de fortune et d’avancement.

J’avais adressé à M. Siméon quelques questions sur la solidité du gouvernement. « Vous verrez, me répondit-il, et vous jugerez vous-même. » Pour cela, il m’invita à un grand dîner avec une partie du corps diplomatique, tous les ministres, le général M…, grand écuyer et ministre de la Guerre par intérim en remplacement du général Eblé revenu en France, et diverses notabilités. Chacun parla avec une extrême liberté. Le général M… me dit : « Vous retournez à Paris, vous êtes bien heureux, Que ne puis-je en faire autant ! Ce damné pays doit me procurer, cinquante mille francs de rentes pour tout l’ennui qu’il me