Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/340

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il y a le petit Maillard que voici. » L’Empereur lui dit : « Monsieur Maillard, levez-vous, » et avec sa précision habituelle, il lui posa une série de questions sur les origines de l’exploitation, les travaux, les usages, les règlemens successifs, etc. Maillard, un peu embarrassé au début, reprit bientôt son assurance, répondit à tout modestement, fit toucher du doigt les dangers des mesures projetées, montra les avantages des pratiques anciennes et le moyen de les concilier avec notre système administratif, si bien qu’il eut un plein succès. L’Empereur le félicita, et, le lendemain, le nomma maître des requêtes en service ordinaire, ce qui était alors une fortune. Jamais on n’a su comme lui distinguer le mérite et mettre la main sur des hommes.

Il parlait en général froidement, avec quelque chose de brusque, toujours d’une manière expressive ; mais, parfois, il s’échauffait et atteignait à la grandeur. Jamais je ne l’ai plus admiré que dans une délibération à l’effet de déterminer la situation des Français autorisés à servir à l’étranger. Il dit que nul ne pouvait rompre irrévocablement avec sa patrie ; que les souvenirs, les parentés, la langue, les communautés de toutes sortes qui constituent l’indigénat ne permettaient ni à eux-mêmes ni au pays de briser le lien initial ; qu’il fallait donc le maintenir et le consacrer soit par le droit de rappel, soit par des peines sévères au cas où la guerre éclaterait entre les États ; et qu’enfin ces principes obligatoires de nationalité s’étendaient jusqu’aux princes montés sur des trônes qui, en dépit de leur couronne, demeuraient aux yeux de la France des citoyens français.

Dans nos rapports avec l’Empereur, la consigne était inflexible. Ainsi, pendant le séjour à Saint-CIoud, l’Impératrice qui s’ennuyait souvent et qui l’importunait parfois dans son travail, vint un jour au salon de service où je me trouvais seul avec le maréchal Bessières et me pria de l’annoncer. Je le fis ; l’Empereur la reçut aussitôt. Mais, le soir, il me dit : « Il n’est pas convenable que l’Impératrice arrive chez moi par votre salon. Si elle se présentait de nouveau, je vous défends de l’introduire. » Il ne faisait d’exception pour personne, pas même pour lui. J’avais reçu du ministre de la Guerre l’ordre de faire entrer les aides de camp de Masséna, qui commandait alors l’expédition de Portugal, et tous apportaient de mauvaises nouvelles, positions évacuées, marches en retraite… Au quatrième ou cinquième, il s’emporta, et, s’en prenant à moi, il me demanda de quoi je me