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de chaque porte. Presque tous jolis, eux qui deviendront si laids en grandissant, ils sont coiffés encore, comme autrefois, avec un art comique, avec une science supérieure de la drôlerie, en petites queues alternant avec des places rasées, — petites queues qui retombent sur les oreilles, ou bien petites queues qui se redressent au-dessus de la nuque, suivant le genre de minois du personnage. Leurs robes ont beaucoup d’ampleur et sont trop longues, leurs manches pagodes sont trop larges ; cela leur donne des tournures empêtrées ou pompeuses. Ils ne font pas de bruit. Ils ne rient pas, en ce pays où leurs grandes sœurs et leurs mamans savent si bien rire. Ils sont la génération prochaine qui verra tout changer dans cet Empire du Soleil Levant jadis immuable, et déjà ils ont l’air d’observer attentivement la vie, avec leurs prunelles de jais noir, mystérieuses entre leurs paupières bridées. Surtout ils se protègent et s’entr’aident les uns les autres, d’une façon gentille et touchante ; il n’en est pas de si petit auquel ne soit confié un frère, moindre encore et plus poupée que lui. Pourtant on en voit aussi qui s’amusent ; gravement ils tiennent la ficelle de quelqu’un de ces cerfs-volans qui, à l’heure des chauves-souris, se mettent de tous côtés à planer dans le ciel, ayant forme de chauve-souris eux-mêmes, ou de phalène ou de chimère.

Il ne fait plus froid, tout s’égaye, tout s’éclaire… Et la grâce des mousmés, que j’avais à peine comprise, il y a quinze ans, c’est aujourd’hui, dirait-on, qu’elle m’est révélée…

Une fois de plus, après tant d’autres fois, on se laisse prendre à cette éternelle duperie de la nature, qui n’a pour but que de préparer les feuilles mortes et les dépérissemens jaunes d’un très prochain automne. On se laisse prendre, et cependant il y a cette année deux causes de tristesse à le sentir approcher, ce printemps : d’abord, ce n’est pas ici qu’on avait pensé le recevoir : chacun comptait bien être là-bas, dans son coin de terre natale, quand arriveraient les hirondelles ; ensuite ce beau temps sonne le départ pour la Chine ; les glaces de l’affreux Petchili doivent fondre sous ce soleil, et on va nous rappeler bientôt à nos postes d’énervante fatigue.


15 mars. — Dans ce rayonnement de printemps, à peine avais-je mis pied à terre aujourd’hui, que trois mousmés dans la rue ont attiré mon attention. Qu’y avait-il donc en elles