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son cœur dans les fidèles images qu’il en retraçait. C’est ainsi qu’en 1810, il peignait avec une application respectueuse la demeure de ses parens, un ensemble de constructions rustiques ombragées par de grands arbres, et dans une autre étude, le potager contigu, avec ses carrés de légumes, ses arbres fruitiers et le tranquille horizon de la plaine à travers laquelle s’attarde la petite rivière[1]. En dépit de l’humilité des sites, leur représentation est attachante ; on y sent quelque chose de la reconnaissance attendrie de l’artiste pour l’aimable contrée où il était né et dans laquelle vivaient encore ses parens.

Ces scrupules et cette vaillante activité à l’étude avaient peu à peu donné plus d’aisance et d’autorité à l’exécution de Constable. Sans viser jamais à la virtuosité, sa facture était devenue plus libre et plus souple. Loin d’attirer sur elle l’attention, il ne cherchait qu’à bien exprimer ce qu’il voulait dire. Parfois, comme dans le Chantier de construction (South-Kensington) qu’il peignit vers cette époque, la touche est encore un peu lourde, trop appuyée et la couleur assez opaque. Mais la belle apparence n’est pas ce qu’il cherche dans de pareilles études. S’il y peine et y insiste un peu plus qu’il ne faut, c’est qu’il veut avant tout s’instruire. Au prix d’efforts parfois trop visibles, il s’exerce à serrer de plus près les formes, à rendre les tonalités vraies, à faire avec plus d’entrain des tableaux faciles. Le public, de son côté, commençait à comprendre la probité de ces tentatives, à sentir la force secrète d’œuvres que la nature seule avait inspirées et dont aucune convention n’altérait la franchise. Les deux paysages que Constable exposait, en 1814, à la British-Institution y obtinrent un grand succès et trouvèrent aussitôt des acheteurs.

Le nom de l’artiste était connu peu à peu et sa situation s’améliorait. Il n’avait pas cessé de penser à miss Bicknell dont la famille, après une épreuve aussi prolongée, paraissait un peu mieux disposée en sa faveur. Une correspondance s’était même établie secrètement entre les deux jeunes gens, cordiale et ingénue, tout empreinte de la sentimentalité qui régnait à cette époque. Aux objections de son amie « qu’ils n’étaient guère faits l’un et l’autre pour la pauvreté et que la peinture était une profession trop chanceuse pour subvenir aux nécessités d’un ménage, » l’artiste répondait « qu’il était certain que leur union

  1. Ces deux peintures appartiennent à sir Cuthbert Quilter.