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vous supposiez ! Le comte Hercule Pepoli, sur qui vous fondiez de grands projets, vous a rebutée ; le comte Antoine Zambeccari s’est moqué de vous ; du marquis Guido Pepoli vous ne parviendrez plus à extraire un sequin ; et il ne vous reste présentement personne à plumer que le marquis Philippe Barbazza : encore celui-là est-il si instable de nature, que vous pouvez être certaine qu’il ne vous durera guère. Si bien qu’il me paraît que vous pourriez réfléchir un peu sur vos propres actions, au lieu de critiquer la conduite d’autrui ! » À quoi la marquise Christine, en vraie femme du monde, répondit simplement par un éclat de rire ; et le chroniqueur bolonais qui nous rapporte cette scène, le gros chanoine Ghiselli, ajoute que la Malvezzi « ne fut pas très applaudie de l’assistance, pour ce franc parler. »


La femme que l’on insultait ainsi jusque dans sa maison était alors âgée de trente et un ans. Née, élevée, mariée en Italie, elle n’avait, elle-même, aucune goutte de sang italien. Par sa mère, une demoiselle de Gouffier, elle descendait d’une vieille race poitevine ; par son père, elle était Anglaise, et l’arrière-petite-fille de ce Robert Dudley, comte de Leicester, dont on sait le rôle auprès de la reine Elisabeth. L’unique fils de ce personnage, s’étant enfui d’Angleterre après toute sorte d’aventures, était venu demeurer à Florence, où il avait été créé chambellan de la Grande-Duchesse ; et c’était là qu’était née, de l’un de ses fils, en 1649, Christine Dudley, duchesse de Northumberland, ou, pour lui laisser le nom sous lequel la désignent le plus volontiers les chroniqueurs italiens, Christine de Northumbrie. Ses premières années s’étaient passées à Florence et à Rome ; puis, à quatorze ans, elle avait épousé un gentilhomme bolonais, le marquis André Paleotti, veuf depuis quelques mois à peine, et dont la première femme avait péri dans des circonstances tout à fait singulières : assassinée, ainsi que son père, par ordre d’un certain comte Suzzi, un monomane de l’homicide, qui, soupçonnant le marquis André d’être amoureux de sa femme, avait imaginé de le supprimer avec toute sa maison.

Fixée à Bologne depuis son mariage, Christine y avait aussitôt fait voir l’incomparable assemblage de qualités et de séductions qui était en elle. Passionnément curieuse de musique et de poésie, savante et spirituelle comme pas une autre femme de son temps, elle était, avec cela, si prodigieusement belle que, pendant un demi-siècle, nu homme n’a pu l’approcher sans en devenir amoureux. Un distique de 1665 la décrit ainsi : « Les grâces au visage, dans les paroles le jeu, sur la poitrine la neige, et le feu aux joues. » Elle avait de grands yeux