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Depuis lors, les chroniques ne tarissent plus sur les « extravagances » de la jeune femme. C’est, par exemple, une épingle de diamans qu’elle se plaint d’avoir perdue à la cathédrale : sur quoi le sénateur Hercule Pepoli lui en fait offrir une autre, beaucoup plus belle, par l’intermédiaire d’un poète nommé Grégoire Casali, à qui, en récompense, elle donne une tabatière de la valeur de vingt doubles. C’est un autre sénateur, Philippe Barbazza, qui abandonne sa femme et s’expose bravement aux foudres du Saint-Siège, pour les beaux yeux de Christine Paleotti. C’est un acteur du Théâtre-Public, qui, s’étant permis une allusion aux dangers que faisait courir une certaine dame à la tranquillité des ménages, est attaqué, au sortir de scène, et amputé d’une oreille. Le 1er juillet 1681, le sénateur Barbazza invite à un dîner officiel ses collègues du Sénat : pendant qu’on est à table, Christine apparaît, en magnifique toilette, et va s’asseoir près du maître de la maison, à l’ébahissement des autres convives. Aux offices de la cathédrale, quand elle arrive trop tard pour trouver place dans la nef, on la voit pénétrer effrontément dans le chœur, et s’installer parmi les chanoines. Vingt fois on l’exile ; elle se transporte à Vérone, à Venise, et, dès le mois suivant, la voici de nouveau à Bologne, avec tous les maris de la ville s’empressant autour d’elle ! Ou bien, à défaut d’hommes mariés, des enfans s’éprennent d’elle, et font mille folies pour la conquérir : entre autres un jeune comte Ercolani qui, venu de Parme à Bologne pour célébrer son mariage avec la fille d’un riche sénateur, oublie l’existence de sa fiancée et ne veut plus sortir du palais Paleotti. Pas un mois, pas une semaine, ne se passent plus sans que quelque nouveau scandale, issu de ce palais, ne mette en rumeur la vieille cité. Depuis le cardinal-légat jusqu’aux cochers et aux portefaix, on ne parle plus d’autre chose. Christine de Northumbrie est devenue, tout ensemble, l’effroi de Bologne et son amusement.

Et c’est bien pis encore lorsque la mort de son mari, en 1689, la rend tout à fait libre de satisfaire sa haine naturelle de toute contrainte, morale ou sociale. Sa maison, désormais, sera un lieu de rendez-vous ouvert à tout venant, et où la « conversation » recommencera chaque soir : cette « conversation » dont un chroniqueur lui reproche d’avoir, « la première, introduit à Bologne la maudite coutume. » Les duels, les meurtres, se multiplient : et toujours on découvre qu’ils ont eu leur point de départ dans les « conversations » du palais Paleotti. Un soir, le 6 décembre 1691, presque tous les invités de la maison sont empoisonnés, pour avoir bu d’un certain chocolat que leur a servi une jeune Turque, filleule de la marquise et