Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/478

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

victime de ces élections successives. Quand la fatalité s’acharne sur un homme, elle l’accable sans merci.

Les radicaux-socialistes ne se sont pas mépris et n’ont même pas affecté de se méprendre sur le sens de tous ces scrutins : ils reconnaissent que le ministère est perdu. Un replâtrage provisoire n’est pas absolument impossible, mais il ne saurait tenir longtemps. On fait remarquer, — nous l’avons fait plus d’une fois nous-mêmes, — que le président et les vice-présidens de la Chambre sont nommés au scrutin secret, ce qui permet aux députés de voter suivant leur inclination véritable et leur conscience, tandis qu’au scrutin public ils votent suivant leur courage, ce qui est très différent. L’expérience en a été faite à maintes reprises : pourquoi ne se renouvellerait-elle pas une fois encore ? M. Lhopiteau a déposé une interpellation sur la politique générale. Ces interpellations, qui portent sur trop de choses pour pouvoir être précises sur une seule, sont habituellement favorables au gouvernement. Aussi les amis de celui-ci mettent-ils leur dernière espérance dans la contradiction qui peut se produire entre le vote secret et le vote public de la Chambre, c’est-à-dire entre la réalité vraie et l’apparence mensongère de ses sentimens. Que leur importe ? Une majorité est une majorité d’où qu’elle vienne, même de la lâcheté des votans, et de quelque façon qu’on l’obtienne, même par l’intimidation. N’a-t-on pas déjà vu le cabinet se contenter d’une majorité de deux voix qu’il s’était procurée par ses propres votes ? Quand on s’est montré si peu scrupuleux, il n’y a plus qu’à continuer. Mais cette majorité artificielle de deux voix qui a permis au cabinet de vivoter jusqu’ici, la retrouvera-t-il après la rude secousse qu’il vient d’éprouver et l’ébranlement que le Bloc tout entier en a ressenti ? Bien n’est plus douteux.

Il y a dans les rangs de la gauche une grande lassitude et beaucoup de dégoût. La lassitude s’explique aisément. Quand il faut recommencer sans cesse le même effort pour relever et pour soutenir un ministère qui, sans cesse aussi, recommence à s’effondrer, le courage se rebute, la fidélité s’altère, la confiance surtout se dissipe. On voit, d’un côté, la pseudo-majorité ministérielle qui n’en peut plus, et de l’autre, l’opposition très résolue à poursuivre jusqu’au bout une lutte où elle se sent déjà victorieuse. Comment le résultat final pourrait-il être incertain ? Le navire ministériel fait eau de toutes parts ; celui de l’opposition a le vent en poupe et un équipage plein d’entrain et d’assurance. L’équipage gouvernemental, au contraire, commence de toutes façons à en avoir assez, et, lorsque nous lui attribuons un sentiment de dégoût, le mot n’a rien d’exagéré. Il faut entendre les