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multipliés, faire une consommation d’hommes dont le chiffre exact est encore inconnu, mais qui a été extrêmement élevé. Tous ces assauts ont été d’effroyables boucheries. Les Japonais n’y ont pas déployé une science militaire égale à leur bravoure, et nous ne conseillerons à personne l’imitation de leurs procédés. Ils sont arrivés à leurs fins ; ils ne pouvaient pas ne pas y arriver ; mais quelle épouvantable hécatombe ! Il faudrait aujourd’hui, pour que la situation se retournât à leur avantage, que les Russes reprissent la supériorité sur terre et sur mer, ce qui n’est certainement pas impossible, mais ce qui ne peut pas être présenté comme une éventualité certaine. Le plus probable est que les hostilités dureront longtemps encore, et que les Japonais en profiteront pour se rendre inexpugnables à Port-Arthur : ils le deviendront s’ils restent maîtres de la mer. Au reste, les personnes les mieux renseignées sur les conditions présentes de la guerre, et qui étaient éclairées d’avance par les enseignemens de l’histoire sur les procédés militaires habituels aux Russes, avaient auguré dès le premier jour que la guerre serait longue et que ce n’est pas la première année qui en verrait la fin. Rien ne les a surprises dans ce qui s’est passé jusqu’ici, excepté l’horreur des massacres qui ont dépassé, au point de vue du nombre des victimes et de l’atrocité de leur mort, tout ce qui s’était produit depuis beaucoup d’années. On disait volontiers que le perfectionnement des armes de guerre rendait les batailles moins meurtrières : ce jugement optimiste n’a pas été confirmé par les faits. Comme il fallait s’y attendre, des voix se sont élevées dans la presse, soit chez nous, soit ailleurs, pour conseiller la cessation des hostilités. Nous sommes très sensibles aux sentimens d’humanité qui inspirent ces manifestations ; mais il serait inutile de donner des conseils aux Japonais, vainqueurs jusqu’ici, et indiscret d’en donner aux Russes qui espèrent l’être à leur tour. Sans doute, ni l’un ni l’autre des deux adversaires ne s’arrêtera aussi longtemps qu’il lui restera une armée disponible.

Il faut reconnaître cependant que la guerre, — cette guerre qui se passe au bout du monde pour des intérêts peu accessibles aux masses, — est impopulaire en Russie. La direction des esprits n’est pas aujourd’hui du côté de la guerre, mais du côté des réformes dont elle a montré la nécessité immédiate, ou du côté de la réforme, car on fait une différence entre le pluriel et le singulier. Ceux qui demandent la reforme, au singulier, entendent par là qu’il faut établir en Russie un gouvernement représentatif, suivant l’inspiration, sinon à la stricte imitation de ceux de l’Europe occidentale : de cette