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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/503

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s’ajouter celle que donne cette jouissance intime et de tous les instans qu’éprouve l’homme, quelle que soit sa situation sociale, à se sentir absolument brave. Il y a là, pour l’âme, une source certaine de réconfort dont les nations en décadence se privent, parce que le matérialisme dans lequel elles s’enlizent s’efforce à détruire les nobles sentimens par l’avilissement des caractères. Les conséquences immédiates de cet état de l’âme japonaise ont été que les chefs militaires comptent avec certitude sur la bravoure et le dévouement de leurs troupes, et c’est là le plus solide point d’appui de toute combinaison stratégique ou tactique.

Une anecdote, citée par le colonel, fera ressortir mieux encore les sentimens qui animent ses compatriotes. Il est au Japon une coutume touchante. Lorsque, dans une famille, un des membres doit partir pour un lointain et dangereux voyage, les parens se réunissent pour lui faire leurs adieux. Un vase rempli d’eau est apporté où chacun tour à tour trempe ses lèvres. C’est une sorte de communion, qui laissera dans la mémoire de chacun un profond souvenir. Dans la seconde quinzaine de février, les Japonais décidèrent que la flotte russe serait bloquée dans Port-Arthur au moyen de transports à vapeur lancés sur la passe et coulés en se faisant sauter au moment où ils arriveraient à l’endroit désigné d’avance. Cinq vapeurs d’un tonnage variant entre 2 766 tonnes (le Hokokumaru) et 1 249 tonnes (le Bushumaru) furent choisis à cet effet. Le 19 février, ces navires étaient montés par 77 volontaires, officiers et matelots, sous les ordres du commandant Arima. Avant le départ, la cérémonie des adieux se fit sur les bâtimens que ces braves quittaient pour aller à une mort presque certaine. À bord du cuirassé Asama, le capitaine Yashiro, prenant une grande coupe d’argent à lui remise par le prince héritier du Japon, la remplit d’eau et dit aux volontaires :

« En vous confiant la mission de bloquer l’entrée de Port-Arthur, mission qui ne vous donne pas une chance sur mille de revenir vivans, j’éprouve la même émotion que si je me séparais de mes propres enfans. Mais si j’avais cent enfans, je les enverrais tous courir à une aventure aussi glorieuse et aussi hardie que la vôtre, et si je n’avais qu’un seul fils, je l’y enverrais également. En accomplissant votre mission, s’il vous arrive de perdre votre main gauche, servez-vous de la droite. Si vous