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l’époque, à dix ans près, ni bien moins encore désigner le lieu et les témoins, ainsi qu’ils le faisaient pour Louis XIV et Mme de Maintenon. On n’en connaît jusqu’ici aucune preuve écrite ; Mademoiselle avait l’habitude de brûler ses lettres, et elle n’avait pas fait d’exception pour celles de Lauzun ; elle en dit son regret dans ses Mémoires. Nous sommes donc réduits aux preuves morales. Il est vrai qu’elles sont très fortes en faveur du mariage. Il est vrai aussi qu’elles ne sont pas toujours sans réplique.

L’idée d’un lien secret était venue à bien des gens après la rupture officielle. L’un des correspondans[1]de Bussy-Rabutin lui écrivait le 17 février 1671 : « (Mademoiselle) pleure encore quelquefois quand elle y pense ; souvent elle rit quand elle n’y pense pas. Son amant… continue de la voir et personne ne s’oppose : je ne sais ce qui en arrivera. » Trois semaines après, Mme de Scudéry faisait allusion au même bruit : « (A Paris, ce 6 mars 1671.) Mademoiselle par le toujours à M. de Lauzun. Leurs conversations commencent et finissent par des larmes. Cependant, je vous le dis, cela n’aboutira à rien. » Bussy était de ceux qui croyaient que « cela aboutirait » à quelque chose. Il répondit le 13 à Mme de Scudéry : « Je crois que l’affaire de Mademoiselle et Lauzun aura un succès heureux, non pas de la manière qu’ils l’espéraient d’abord, mais d’une autre plus secrète qui se fera du consentement du Roi. »

Mademoiselle accepterait-elle cette autre « manière ? » Il était permis d’en douter. Les mariages de conscience, si à la mode au XVIIe siècle, créaient des situations très fausses, et assez humiliantes, à qui n’était pas un Louis XIV, n’ayant de comptes à rendre à personne et maître de laisser transpirer la vérité. Les mariages secrets du reste des mortels devaient rester vraiment secrets, faute de quoi ils auraient eu une partie des effets que l’on avait voulu éviter ; de sorte que deux époux ne se voyaient toute leur vie qu’en bonne fortune, ce qui n’était pas du goût de tout le monde, non plus que les soupçons et les commentaires auxquels on n’échappait point, et la dépendance où l’on tombait vis-à-vis des serviteurs. Segrais ne voulut jamais croire que Mademoiselle eût épousé Lauzun, et l’une de ses raisons était qu’elle avait « chassé Madelon, sa femme de chambre, ce qu’elle n’aurait pas fait » si Madelon avait eu de quoi bavarder. Segrais

  1. M. du Housset, ancien intendant des finances. Il venait d’acheter la charge de chancelier de Monsieur.