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prisonniers, mais qu’il n’était point un condamné, et que tout ce qui faisait son mal extrême était qu’il ne savait point son péché. »

Il n’était pas un condamné. Ce fut son refrain pendant dix ans. Fouquet, son voisin de prison, était un condamné. Fouquet avait eu des juges, indépendans ou non. Il avait su de quoi on l’accusait, et l’on avait écouté sa défense. Lauzun était dans sa basse-voûte par le bon plaisir du Roi, sans avoir été admis à se justifier, et cela le révoltait.


II

Quand on vint dire à Mademoiselle que Lauzun était arrêté, elle éprouva un tel saisissement, qu’elle s’étonna « de n’en être pas morte. » Elle fut jusqu’au surlendemain dans un état pitoyable. Quelqu’un lui ayant alors « conseillé » de ne pas tarder davantage à reparaître devant le Roi, il fallut prendre une résolution. Si elle n’avait eu à penser qu’à soi, Mademoiselle aurait dit adieu au monde ; mais il y avait Lauzun, qui allait être très attaqué, selon l’usage des cours, à présent qu’il ne pouvait plus se défendre, et qui n’avait qu’elle au monde pour plaider sa cause auprès du Roi. Il était impossible de l’abandonner. Mademoiselle trouva la force de se lever et de se rendre à Saint-Germain. Elle ne vit le Roi que le soir, à son souper : « — Il me regarda avec un air assez triste et embarrassé. Je le regardai les larmes aux yeux ; je ne dis rien ; je sus qu’il avait dit en rentrant chez les dames[1] : « — Ma cousine en a usé avec bien de l’honnêteté pour moi : elle ne m’a rien dit. » — Il aurait été fort imprudent à moi de parler, car il était préparé à tout ce que j’aurais pu dire. »

La Cour de France était alors très gaie et très animée. Monsieur venait de se remarier (16 novembre) avec Elisabeth-Charlotte de Bavière, princesse palatine, si connue par l’originalité de son esprit et par la verdeur de son langage. Le Roi, qui avait bon goût en fait d’esprit, se montrait charmé de sa nouvelle belle-sœur et lui prodiguait les fêtes. Mademoiselle s’imposa d’assister à la première. Elle a conté d’une façon pathétique cette soirée abominable où elle avait l’air de regarder un ballet, tandis

  1. On appelait « les dames, » tout court, Mme de Montespan et Mlle de La Vallière.