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la Cour, la différence entre le dehors et le dedans est peut-être aussi marquée, bien que plus difficile à saisir. Le dehors, c’est une splendeur, ce sont des adulations, très propres à donner le change ; le dedans, c’est une misère morale profonde, faite de débauche et de mendicité chez les uns, de découragement et d’amertume chez les autres. Mme de Sévigné a peint en six lignes et sans y penser, dans une lettre de 1680, l’état d’avilissement où le Roi réduisait systématiquement la noblesse de France, dressée par lui à attraper les bourses au vol : « — (12 janvier.) Le Roi fait des libéralités immenses ; en vérité, il ne faut point se désespérer : quoiqu’on ne soit pas son valet de chambre, il peut arriver qu’en faisant sa cour, on se trouvera sous ce qu’il jette. Ce qui est certain, c’est que loin de lui, tous les services sont perdus ; c’était autrefois le contraire. » Si les âmes se sont abaissées sous le règne de Louis XIV, il en a sa part de responsabilité.

De même pour les progrès du relâchement des mœurs. Certes, on était habitué avant lui aux maîtresses et aux bâtards ; on ne l’était pas à des prérogatives d’épouses en second et d’adultérins légitimés qui encourageaient ses sujets à ne pas prendre plus au sérieux les lois que la morale. L’exemple du maître achevait d’obscurcir les consciences naturellement troubles, et l’on voyait les maris encourager leur femme, les mères leur fille, à imiter les La Vallière et les Montespan.

Louis XIV a d’ailleurs été puni d’avoir voulu jouer au sultan. La polygamie ne va pas sans quelques désagrémens, dans un pays où il faut compter avec les femmes. Peu d’hommes, fût-ce dans les comédies, ont essuyé autant de scènes de leurs maîtresses, et de scènes violentes, humiliantes autant que pénibles, que ce monarque majestueux devant qui le reste de l’univers tremblait. Il n’y a plus de Roi pour une amante jalouse, et Louis XIV n’a jamais été fidèle qu’à Mme de Maintenon.

Il avait été gâté par Louise de La Vallière, qui était la douceur même, et que l’amour inclinait au pardon. Aucune des autres ne l’a jamais aimé, sauf Marie Mancini. Il ne plaisait pas aux femmes ; elles ne se disputaient en lui que le Roi. Mlle de La Vallière était entrée au Carmel en 1674. Demeurée seule sur la brèche, Mme de Montespan défendit sa « situation » en lionne. Elle était naturellement aigre, ses colères « inexprimables[1], »

  1. Mémoires de La Fare.