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une révolution et la gloire : « — J’admire l’étoile de M. de Lauzun, écrivait Mme de Sévigné, qui veut encore rendre son nom éclatant, quand il semble qu’il soit tout à fait enterré (24 décembre 1688). »

Son nom fut en effet sur toutes les lèvres. Il avait sauvé la reine d’Angleterre et son fils, les avait amenés à Calais au prix de réels dangers, et apparaissait soudain comme une façon de héros, méconnu et persécuté : « — Il y a longtemps, dit aussitôt Louis XIV, que Lauzun n’a vu de mon écriture… je crois qu’il aura une grande joie de recevoir une lettre de ma main. » La lettre royale portait à l’ancien favori plus que l’oubli du passé ; elle lui parlait « d’impatience de le revoir[1]. » Mademoiselle y vit un outrage, les ministres et les courtisans une [menace pour eux. « — (27 décembre.) Il a trouvé le chemin de Versailles en passant-par Londres ; cela n’est fait que pour lui. La princesse est outrée de penser que le Roi en est content, et qu’il reviendra à la Cour[2]. » Vainement le Roi envoya Seignelay dire à sa cousine, en manière d’excuse et de consolation, « qu’après les services que M. de Lauzun venait de lui rendre, il ne pouvait s’empêcher en aucune façon de le voir. » Mademoiselle s’emporta et dit : « — C’est donc là la reconnaissance de ce que j’ai fait pour les enfans du Roi !… » Un des amis de M. de Lauzun fut chargé de lui présenter une lettre de sa part : « elle… la jeta dans le feu[3]. » Quand on la vit intraitable, on cessa de s’occuper d’elle et de sa mauvaise humeur. Lauzun rentra triomphalement à la Cour de France, et Bussy-Rabutin résuma sa carrière dans une lettre à Mme de Sévigné : « — (2 février 1689.) Nous l’avons vu favori, nous l’avons vu noyé, et le revoici sur l’eau. Ne savez-vous pas un jeu où l’on dit : Je l’ai vu vif, je l’ai vu mort, je l’ai vu vif après sa mort ? — C’est son histoire. »

Le « second tome du roman[4] » offrit encore aux badauds la remise solennelle au petit Lauzun, par le roi Jacques il et dans l’église de Notre-Dame, du collier de l’ordre de la Jarretière. A ce beau chapitre en succéda un moins brillant. Lauzun avait eu le commandement de l’armée que la France envoyait en Irlande soutenir la cause de la monarchie légitime. Il manquait

  1. Saint-Simon, Écrits inédits.
  2. Mme de Sévigné.
  3. Mémoires de la cour de France, par Mme de La Fayette.
  4. Mme de Sévigné, 6 janvier 1689.