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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/561

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sanctuaire, et cela ajoute encore à l’impression qu’elle cause : on dirait qu’elle communique par le faîte avec le Dieu des nuages.

Une petite pluie chaude, qui mouille à peine et qui semble parfumée aux essences de plantes forestières, commence de tomber, quand je me dirige aujourd’hui en baleinière vers la tranquille plage de cette Miyasima. Et je vois d’abord des vieux temples, pour mieux dire des vieux portiques de temples, qui s’avancent jusque dans l’eau, des portiques religieux, posés sur pilotis et reflétés dans cette petite mer enclose, qui n’a jamais de bien sérieuses fureurs. Je vois un village aussi ; mais il n’a pas l’air vrai, tant les maisonnettes y sont gentiment arrangées parmi des jardinets de plantes rares ; on croirait un village sans utilité, inventé et bâti pour le seul plaisir des yeux. Et au-dessus, tout de suite l’épaisse verdure commence, l’inviolable forêt séculaire, qui va se perdre dans les nuées grises…

Une île d’où l’on a voulu bannir toute souffrance, même pour les bêtes, même pour les arbres, et où nul n’a le droit de naître ni de mourir !… Quand quelqu’un est malade, quand une femme est près d’être mère, vite, on l’emmène en jonque, dans l’une des grandes îles d’alentour, qui sont terres de douleur comme le reste du monde. Mais ici, non, pas de plaintes, pas de cris, pas de deuils. Et paix aussi, sécurité pour les oiseaux de l’air, pour les daims et les biches de la forêt…

Me voici descendu sur la grève au sable fin, et des verdures m’environnent de toutes parts, d’humides verdures qui voisinent, au-dessus de ma tête, avec le ciel bas, et plongent bientôt dans le mystère des nuages. De chaque côté de la rue ombreuse qui se présente à moi, s’ouvrent des maisons de thé. Elles alternent avec de mignonnes boutiques à l’usage des pèlerins, qui affluent ici de tous les points de l’archipel nippon ; on y vend des petits dieux, des petits emblèmes, sculptés dans le bois de quelque arbre, — mort de sa belle mort bien entendu, sans quoi on ne l’aurait point coupé.

Une route vient ensuite, et me conduit à la baie proche, qui joue un peu le rôle du tabernacle, dans cet immense lieu d’adoration qu’est l’île entière. Une route empreinte de tant de sérénité recueillie qu’on s’étonne d’y rencontrer quelques passans, quelques Nippons pareils à ceux d’ailleurs, quelques mousmés qui sourient, tout comme sur une route banale. Du côté de la