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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/588

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homme à Paris comportait des sacrifices d’argent, auxquels on ne se résoudrait pas sans des raisons sérieuses. Sur ces entrefaites, Lamartine apprend que le serviable Aymon de Virieu, parti depuis huit mois pour le Brésil avec le duc de Luxembourg, est de retour à Paris. Le 8 décembre, il lui adresse un premier billet : « Je brûle d’impatience de t’aller embrasser, car je compte aller à Paris bientôt, et ce sera un nouveau motif. Rien n’a changé en bien dans ma position pendant ces huit mois. Mon cœur seul a changé ; hélas ! il était plus heureux à ton départ. » Le 12 décembre, nouvelle lettre. Lamartine s’est avisé du genre de service que son ami peut lui rendre : c’est un complot où il ne refusera pas d’entrer. « Restes-tu à Paris ? Y es-tu assez longtemps pour que je puisse t’y voir ? Écris-moi dans ta première lettre que tu m’engages à y venir, que tu pourras peut-être m’être utile, m’aider à me caser dans quelque bonne sous-préfecture : cela engagera beaucoup mon père à me donner les moyens d’y aller en effet… » Pour faciliter à Lamartine ce séjour tant désiré, Virieu lui abandonnait une des chambres de l’appartement qu’il occupait dans l’hôtel du maréchal de Richelieu, rue Neuve-Saint-Augustin. Porteur d’une lettre d’introduction de son ami, il s’était présenté chez Julie. Il était tout de suite entré dans son cercle. Il avait à la préparer au grand bonheur qui l’attendait. Le mercredi 25 décembre, il était auprès d’elle, lorsque, parmi les habitués de chaque soir, elle vit apparaître un nouveau venu : le compagnon des heures enchantées d’Aix. Les deux amans furent bientôt séparés par l’arrivée des visiteurs. Mais, à peine terminée cette soirée de joie et de torture, et, quand le dernier des hôtes, devenus des importuns, eut enfin pris congé, Julie, assise devant sa petite table, laissait courir sa plume et donnait un libre cours aux sentimens que son cœur avait dû contenir et qui avaient failli le briser. Elle écrivait ces pages débordantes d’émotion que Lamartine devait recevoir le lendemain matin[1] :


A onze heures et demie, mercredi.

Est-ce vous, Alphonse, est-ce bien vous que je viens de serrer dans mes bras et qui m’êtes échappé comme le bonheur échappe ? Je me demande si ce n’est pas une apparition céleste que Dieu m’a envoyé, s’il me la rendra,

  1. Nous avons respecté l’orthographe et la ponctuation d’Elvire, comme la disposition même du texte.