Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/593

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tellement dans le ciel que vous repoussiez les passions de la terre, je me tairai, Alphonse ! J’en demanderai à Dieu la force et il m’accordera de vous aimer en silence.


Le 2, au matin.

Une chose m’a frappée, Alphonse, il faut que je vous la dise, dans le langage de votre ami sur la femme que vous avez aimé. Nous en parlions et je lui exprimais mon admiration pour ces touchantes vertus et pour sa mort que je lui envie et que peut-être je ne lui envierai pas long-tems ; il m’arrêta tout court dans l’éloge que j’en faisais par des louanges si ordinaires que j’en demeurai confondue. Ses termes étaient, je crois, ceux-ci : Oui c’était une excellente petite personne, pleine de cœur et qui a bien regretté Alphonse. — Mais elle est morte de douleur, la malheureuse ! Elle l’aimait avec idolâtrie ! Elle n’a pu survivre à son départ. — Puis par une réflexion rapide qui me fit faire un retour sur moi-même, j’ajoutai : Au reste ce n’est pas elle qu’il faut plaindre aujourd’hui, elle a cessé de souffrir. — Votre ami parut alors regretter d’en avoir parlé légèrement et il finit bien, surtout quand il apprit comment elle avait terminé sa vie, par lui reconnaître des qualités, mais l’impression était faite. — Serait-il donc possible, Alphonse, qu’Elvire fût une femme ordinaire et que vous l’eussiez aimée, que vous l’eussiez louée comme vous l’avez fait ? Si cela était, cher Alphonse ! quel sort j’aurais devant moi. Et moi aussi vous me louez, vous m’exaltez, et vous m’aimez parce que vous me croyez un être supérieur ! Mais que l’illusion cesse, que quelqu’un déchire le voile et que me restera-t-il, si vous pouvez vous tromper ainsi dans vos jugemens ? Est-ce donc l’imagination qui s’enflamme chez vous, ô mon bien-aimé, et croyez-vous comme tant d’hommes le font aux rêves de votre cœur jusqu’à ce que la raison les détruise ? Oh ! mon ange, je ne puis le croire et cependant je tremble. Si un jour, cher Alphonse ! on allait vous dire de moi : C’était une bonne femme, pleine de cœur, qui vous aimait, et que vous pussiez supporter cet éloge, est-ce que vous m’aimeriez encore ? — Oh ! non sûrement je ne voudrais plus que vous m’aimassiez, ce serait vous rabaisser vous-même. Mais je vous le déclare, mon Alphonse, je ne pourrais pas supporter moi-même un pareil éloge. Je sens au dedans du moi quelque chose qui le repousse, ce n’est pas la fierté, j’en suis dénuée : c’est l’amour ! Celui que je sens pour vous est d’une nature si relevée ! il est si ardent ! il est si pur. Il me rendrait capable de tant de vertus qu’il me relève à mes propres yeux et que je ne pourrais souffrir qu’on en parlât légèrement. Le reste je l’abandonne. Je vous l’ai dit assez, cher ami, que je n’étais qu’une bonne femme et qu’il ne fallait m’aimer que parce que je vous aime. Mais quand on aime comme moi, quand on aime comme Elvire et moi jusques à en mourir — n’est-on donc qu’une femme pleine de cœur ? Mais pourquoi mal interpréter ce mot ? Ce n’est pas vous, mon amour, qui l’avez dit et peut-être devrais-je l’entendre autrement. Combien avec autant d’amour n’a-t-on pas de cœur en effet ! Comme le mien bat dans ma poitrine ! Comme il brûle ! Comme il est à la fois dans mon esprit, dans mon imagination et dans l’amour ardent qui m’enflamme ! Allons, je le vois bien, il avait raison, votre ami, nous sommes des femmes pleines de cœur. C’est moi qui devais