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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/597

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pourtant, mon amour, que je suis coupable ! J’oublie les biens si réels que je vous dois pour ne m’occuper que des craintes que peut-être vous n’avez accueilli qu’un moment et que vous avez repoussé. Ah ! mon ange, pardonne. Je ne suis pas ingrate, crois-le bien, mais je redoute plus que la mort de perdre mon Alphonse ! Ah ! qu’il me reste cet ange chéri ! ce fils adoré ! Qu’il dispose de moi à quelque titre que ce soit, et je suis à lui !


Ces lettres ne sont à coup sûr qu’une faible partie du trésor qu’avait longtemps conservé le poète. Mais elles forment un tout. Et elles nous donnent le ton de cette correspondance. Ce qui rendait si précieuses à Lamartine ces lettres d’Elvire, c’est la fidélité avec laquelle s’y reflète l’âme de celle qui les écrivait. « Ses lettres avaient plus d’accent dans une phrase que les miennes dans mes huit pages ; on respirait son souffle dans les mots. On voyait son regard dans les lignes ; on sentait dans les expressions la chaleur des lèvres qui venait de les inspirer. Rien ne s’évaporait d’elle dans cette lente et lourde transition du sentiment au mot qui laisse refroidir et pâlir la lave du cœur sous la plume de l’homme. La femme n’a pas de style, voilà pourquoi elle dit tout si bien ! » Faisons la part de l’émotion personnelle et de la gratitude : cette appréciation, dans son fond, est juste. Les lettres d’Elvire sont d’une femme qui n’a pas de style et qui ne cherche pas à en avoir. Uniquement soucieuse d’exprimer « l’ardent amour qui la consume, » elle emploie, comme il est naturel, le jargon et la rhétorique en usage, aucune langue plus que celle de l’amour n’ayant accoutumé de subir l’influence de la mode. Elle ne dirige pas sa plume, elle ne choisit pas ses mots : l’expression la plus transparente est à son gré la meilleure. Et voilà pourquoi ce sont vraiment ici des lettres d’amour.

Sur l’ardeur de cet amour elles ne laissent aucun doute, et on n’imagine guère que la passion puisse s’exprimer avec plus d’éloquence. « Quand on aime, comme Elvire et moi, jusques à en mourir… Ne crains que l’excès d’une passion que je ne puis plus modérer. C’est ma vie que mon amour… Je regrette plus que la mort de perdre mon Alphonse… qu’il dispose de moi, à quelque titre que ce soit, et je suis à lui ! » Mais cet amour traversait alors une crise qu’aucun biographe n’avait pu soupçonner encore, puisque aussi bien les seuls indices s’en trouvent ici. Ces lettres vont donc, par leur sincérité même, nous permettre de reconstituer cet épisode de la vie morale des deux amans et nous faire entrer dans l’intimité de cette crise qui fut douloureuse.