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la raison l’idée de loi ; elle n’admettait pas celle d’un Dieu-Providence, sensible au cœur, et à qui pût s’adresser la prière de la créature. S’il faut en croire Lamartine, ce fut lui qui la ramena au vrai Dieu ; elle n’aurait été définitivement touchée de la grâce que dans les derniers temps du séjour à Paris, au cours d’une promenade dans les bois de Saint-Cloud, au pied d’un arbre qui en prit le nom d’arbre de l’Adoration. L’amour aurait eu ainsi l’honneur de cette conversion ; mais il en est une autre qu’il ne put jamais opérer. Julie n’eut jamais le sentiment de la poésie. Elle ne comprenait pas les vers. Et, comme Lamartine en fait la remarque avec une fatuité qui nous chagrine, elle mourut sans savoir qui elle avait aimé. Fille du XVIIIe siècle raisonneur, Elvire n’était pas du tout lamartinienne…

Il est bien vrai qu’elle goûtait peu les vers. Elle loue ceux de Lamartine parce qu’ils sont de lui, et d’ailleurs en ces termes vagues et conventionnels qui n’expriment qu’une admiration de parti pris. Mais comment lui en vouloir, si les vers de Parny, de Delille, de Fontanes l’ont laissée indifférente ? Et pourquoi Lamartine n’avait-il pas encore écrit de vers qui fussent dignes d’être lus par elle ?

Au contraire, ce qui n’est plus soutenable, c’est que Julie, au moment où elle rencontra Lamartine, fût un esprit fort. Nous avions déjà un peu de peine à imaginer qu’une si grande amie de M. de Bonald fût une idéologue. Les lettres de Julie apportent sur ce point de sûres indications. Outre que la jeune femme n’y apparaît guère comme entichée de son jugement, confiante en ses lumières et armée pour la discussion, on y lit, à chaque ligne et avec la clarté de l’évidence, l’habitude d’un esprit qui s’élève spontanément à Dieu. Dans sa joie de revoir celui à qui elle appartient tout entière, sa première pensée est pour remercier la divine Providence, et son premier mouvement est pour s’agenouiller. Dira-t-on que c’est ici preuve de sentimentalité religieuse plus que de véritable christianisme ? Mais à ce moment, Lamartine lui-même ne dépassait guère cette espèce de spiritualisme attendri. Tous deux y étaient arrivés par des chemins différens : c’était chez Lamartine l’écho affaibli des enseignemens d’une mère pieuse ; c’était chez Julie la suite de cet ébranlement que l’éloquence de Rousseau communiqua à la sensibilité et à l’imagination de tant de femmes. Telle est en effet la « famille d’esprits » à laquelle appartient Julie. C’est une femme