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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/606

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vie, lui faire connaître l’état de son cœur et ce qu’elle voulait désormais être pour lui.


Lundi, 10 novembre 1817.

Je souffre de vous dire si tard que je vais mieux. L’absence totale de forces en est la cause — ainsi qu’un nuage que j’ai sur la vue qui semble s’épaissir tous les jours. Je ne puis plus rien fixer. J’envisage pourtant un terme à cet état et je crois qu’après de longues souffrances je vivrai. Je vivrai pour expier. C’est par là seulement que je puis devenir digne des grâces immenses que Dieu m’a faites. Je ne sais si vous avez su qu’elles ont été sans bornes. J’ai été administrée, et après avoir reçu le sacrement que dans sa bonté il a institué pour soulager les mourans, Dieu lui-même s’est donné à moi ! — Vous comprenez quels devoirs m’imposent d’aussi grands bienfaits ! Ils seront tous remplis. Les sacrifices ne me coûteront rien : ils sont faits et je sens à la paix de l’âme qui résulte de mes résolutions que le bonheur aussi pourrait bien se trouver dans cette route du devoir qu’on croit à tort si pénible.

J’ai reçu toutes vos lettres. Qu’à présent mon ami elles puissent toujours être lues par tout le monde. Je ne puis plus en recevoir d’autres et je ne le désire même pas. Vous ne répondrez pas à celle-ci. Je ne suis pas censée écrire ; mais je craignais vos inquiétudes et je suis sûre que Dieu trouve bon que je calme les sollicitudes d’un enfant qui aime trop sa mère. Il sait que cet enfant est vertueux. Il permet que j’en fasse un ami. Oh ! qu’il est bon ce Dieu d’inéfable bouté ! El sa religion qu’elle est douce, consolante et sublime, quand elle verse sur le pécheur ses trésors d’indulgence !

M. de B(onald) est ici. Il ne permet pas que je lui parle. Ma faiblesse l’effraie. Mais il par le lui et sa conversation va tout droit à mon âme pour laquelle elle est faite. — Écrivez-moi vite sur lui et pour lui. Il m’a demandé presque en arrivant ce que vous pensiez de ses observations et lorsque je lui ai dit que vous étiez prêt à les adopter, il m’a dit : Vous me ferez voir sa lettre, je vous en prie. — Or, comme je n’ai rien à lui montrer, écrivez-moi à présent que dans le trouble ou ma maladie a jette mes amis, vous n’avez guère pensé à d’autres intérêts, mais qu’aujourd’hui que vous êtes rassuré par M. Alix vous êtes pressé de me parler de M. de B(onald), que vous voulez aussi amuser ma convalescence par vos vers, ]et envoyez-moi l’Ode aux Français et tout ce que vous me faites attendre si longtemps d’Aix et d’ailleurs. Que la lettre de M. de B(onald) et son ouvrage ne soient pas oubliés par la première occasion. M. de V(irieu) reviendra peut-être enfin.

Oh ! que j’ai cru ne plus vous revoir ni l’un ni l’autre ! Tout m’était égal alors, et je retombe dans des inquiétudes sur vous. Soignez-vous, ne venez pas. Cela vaut mieux ; je le pense…

Adieu, mon ami. Je vous aime comme une bonne et tendre mère toujours.

M. de B(onald) est dans la plus grande admiration de votre ode. Il m’a dit qu’il ne lui appartenait pas de la louer, mais qu’elle lui paraissait d’une beauté admirable.