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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/706

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velléités. Mais à ces indications, que de finesse et de justesse elle donne 1 Écoutez, puis lisez et relisez encore la période qui commence par ce souvenir : Je vivais paisible, honorée, et s’achève par ce regret : Ah ! pourquoi l’ai-je vue, celle tête charmante ! Cela est la perfection même. Cela n’est pas un « air. » Mais dans le caractère, dans la coupe et la désinence de la phrase initiale, dans les proportions et l’eurythmie des périodes et des mouvemens, dans l’orchestration même, fondée sur le quatuor à cordes, il y a toute la pureté de l’esprit et du style classique. Les accords enveloppant l’appel de Paris : Viens, dit-il, dans ma Troade ! exhalent une langueur, sinon phrygienne par le mode, au moins étrange et tout orientale par le sentiment. Ici pour la première fois s’élève, timide et retenue encore, la mélodie d’amour. C’est ici qu’elle a le plus de charme, et quand elle se perd, s’éparpille ou s’égrène en gouttes sonores, on s’étonne que le concert d’une voix de femme, d’un violon, d’une harpe et d’une flûte puisse unir tant de plénitude à tant de ténuité.

« La musique, nous disait Gounod un jour, devient irrespirable. » Mais ce n’est pas de la musique de M. Saint-Saëns qu’il parlait. En des pages comme celle que nous venons de citer, comme telle autre où la reine écoute chanter au loin son enfance innocente et pastorale, il semble que la musique s’aère et s’allège, qu’elle dépouille et sacrifie le plus ce qu’elle peut de la matière, pour ne plus vivre que de l’esprit. Trop de jeunes musiciens lui demandent ou lui commandent aujourd’hui le sacrifice contraire. De là vient que leur musique nous oppresse et nous asphyxie. Qu’ils apprennent d’un Saint-Saëns à pourvoir à notre plaisir avec une économie que leur prodigalité n’égale pas. Qu’ils s’épargnent et qu’ils nous ménagent ! Nietzsche a dit, non sans quelque raison : « Une œuvre qui veut produire une impression de santé doit être exécutée tout au plus avec les trois quarts de la force de son auteur. Si l’auteur a donné sa mesure extrême, l’œuvre agite le spectateur et l’agite par sa tension. » Le spectateur d’Hélène peut être tranquille L’auteur n’a pas donné cette fois son extrême mesure. Il a réservé le quart — au moins — de lui-même. Mais si peu qu’il ait prétendu faire, il l’a fait avec une aisance, une liberté souveraine, et comme pour se divertir. En vérité, nous nous étions mal exprimé tout à l’heure et nous nous reprenons. Ce n’est pas un « devoir » qu’il faut appeler cette œuvre, c’est un jeu.

Mlle Garden prête à l’infidèle épouse de Ménélas, ou plutôt elle lui donne, car l’artiste a de la conviction et de la sincérité, le charme de sa personne et de ses attitudes, l’assurance et la pureté de sa voix.