Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/714

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ressemblait pas encore au théâtre, était leur, et Dieu n’y recevait de prières et de louanges que par leurs voix. Pour l’art autant que pour la piété, les choses allaient mieux ainsi. La France, avant 1780, comptait environ quatre cents maîtrises, comprenant de douze à quinze mille musiciens, dont quatre ou cinq milliers d’enfans. L’église était pour eux à la fois le sanctuaire, l’école et la maison. Ils s’y formaient à toutes les disciplines : à celles du corps, de l’âme et de l’esprit. S’ils avaient leurs devoirs, ils avaient leurs droits aussi, même leurs privilèges : entre autres celui de confisquer à leur profit les éperons des chevaliers qui se permettaient d’entrer dans le chœur tout éperonnés. Et souvent les éperons étaient d’argent.

Ils n’obtenaient guère licence de se produire au dehors. Une fois pourtant certain bailli d’Evreux avait fait une perte cruelle et s’en montrait fort affligé. La Toussaint étant venue et le bailli se trouvant malade en son hôtel, on permit aux enfans de la maîtrise d’aller charmer sa peine, et « si doulcement chantèrent, que le dolent bailli en fut tout consolé. »

L’office, ou, comme nous disions, le ministère que seuls autrefois remplissaient à l’église des enfans consacrés, trop de musiciens de concert ou d’opéra le leur disputent aujourd’hui, quand ils ne les en dépossèdent pas. L’idéal, esthétique autant que religieux, conseille, commande même de le leur rendre. La Croisade des enfans a rappelé le bienfait que la musique en général cl plus encore la musique religieuse peut attendre d’un élément, non point inconnu mais trop oublié, de notre art. Si la musique d’église à son tour finissait par y revenir, ce ne serait pas le moindre mérite et le moindre honneur de la belle œuvre de M. Pierné.


CAMILLE BELLAIGUE.