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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/724

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le mouvement par l’effet de stupeur encore plus que de terreur qui devait en résulter. Le mouvement a été suspendu en effet : mais qui pourrait dire s’il est définitivement arrêté ?

Un jeune pope, nommé Georges Gapone, qui a su prendre sur les ouvriers un ascendant considérable, a été l’organisateur, le directeur et l’orateur de la grève. Si c’est lui, comme cela est probable, qui a rédigé l’adresse qu’il se proposait de remettre à l’Empereur à la tête de milliers de grévistes, il a le don de cette éloquence enthousiaste et touchante qui est faite pour remuer les masses. La détresse de tout un peuple s’est exprimée par sa plume, détresse douloureuse mais qui cesse déjà d’être résignée, et qui, tout en conservant les formes extérieures du respect, par le avec douceur un langage déjà impérieux. Il est dans les vieilles mœurs et dans les traditions du peuple russe que le dernier moujick peut s’adresser directement et personnellement à l’Empereur pour lui demander justice et protection. Les cas de ce genre ne sont pas rares. Gapone a cru pouvoir généraliser cette coutume et se présenter à l’Empereur ayant à sa suite tous les ouvriers de la capitale. Il ne lui a pas demandé audience : il lui a donné rendez-vous au Palais d’Hiver, avec une insistance redoublée, pour tel jour et telle heure, afin qu’il se mît en contact immédiat avec son peuple, sans que rien ne les séparât. Il fallait d’abord abattre entre eux cette épaisse muraille de la « bureaucratie » qui était dénoncée comme la cause d’un épouvantable malentendu. L’adresse de Gapone commence par des revendications de l’ordre économique, augmentation des salaires, diminution de la durée des heures de travail, etc. Le pope ne semble pas mettre en doute qu’en quelques minutes de conversation entre le peuple et l’Empereur, toutes ces questions seront résolues. Mais il ne s’en tient pas là ; il se place bientôt sur un terrain purement politique. « La Russie, dit-il, est trop grande, et ses besoins sont trop variés et trop multiples pour que des fonctionnaires seuls puissent gouverner. La représentation nationale est indispensable, car le peuple seul connaît ses véritables besoins. Ne repoussez pas son aide, acceptez son concours et ordonnez tout de suite la convocation des représentans de toutes les classes, y compris les classes ouvrières. Que tous soient égaux et libres dans le droit d’élection. Ordonnez que les élections de l’assemblée constitutionnelle aient heu par scrutin secret général. C’est là notre principale demande, tout y est renfermé. C’est le baume pour nos blessures, lesquelles autrement nous entraîneront promptement à la mort. » Ainsi, les revendications politiques sont mises au premier plan par Gapone : il demande le régime