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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/857

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impatient, allègre. Il court à sa porte ; il l’ouvre ; il me pousse en avant … et je me trouve devant un grand tableau où une nymphe éblouissante trempe ses pieds nus dans l’humide reflet des saules. — Ah ! ceci, s’écrie-t-il, ce n’est pas du musée ! Je viens de l’acheter pour moi. Elle est jolie, n’est-ce pas ? Mais, je vous en prie, regardez-moi ces chapeaux de paille fabriqués par nos paysannes, et ces paniers !… et ces pots … sont-ils assez mignons, ces petits pots-là !…

Depuis vingt ans, M. Kalindero n’a jamais voulu toucher un sou des trente mille francs que le Roi affecte chaque année à son traitement. Il n’ambitionne d’autre récompense que d’être béni des paysans et de jouer au billard en compagnie de Sa Majesté. Cependant, un soir, il confia à la Reine qu’il désirait être enterré, — le plus tard possible, — avec sa robe de magistrat, le menton dans son jabot de dentelles.

v. — le roman de la roumanie

Que M. Kalindero me le pardonne, mais cet ancien thesmothète, descendant d’Hésiode, fertile en beaux discours et sagement passionné pour la science de l’Économique, m’a ramené aux Fanariotes. Je voudrais me préciser à moi-même les traits distinctifs de ce caractère roumain qui m’attire et me captive ; et je crains que mes premières lectures ne m’aient induit en erreur. Les Roumains et les voyageurs d’autrefois se tromperaient-ils sur le compte de ces étrangers grecs que leur jugement transforme en maniaques oppresseurs ou en subtiles bêtes de proie ? Je viens de lire les Mémoires du prince Nicolas Soutzo, parus à Vienne, en 1899, et écrits dans le français le plus alerte. Ce Nicolas Soutzo était le fils du dernier Fanariote qui régna en Valachie et dont la mort assez opportune fut peut-être hâtée par certaine poudre blanche répandue sur certain vésicatoire. Il nous raconte son enfance au Fanar, ce sanctuaire du génie grec, ce berceau mystérieux de l’hétairie. Toute sa famille y demeure confinée dans la solitude et presque la misère d’un gigantesque palais de bois qui domine les eaux du Bosphore et qu’assiègent la méfiance et la grossièreté des Turcs. On vit courbé sous la peur, mais penché sur le rêve de l’Indépendance grecque. Les vertus ont élu domicile entre ces murs qui disent éloquemment l’instabilité de la fortune à Byzance. Les femmes y sont des saintes,