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des hommes ayant la crainte du Seigneur, » ou encore : « J’ai appris dans le livre de la vie, mais non dans celui de la vie pleine de péchés. » Cette illusion assez agaçante ne laisse pas d’être fort respectable. La politique extérieure de la Roumanie, qu’il ne m’appartient pas de juger, l’a mise à la remorque de la Triple Alliance. Il est naturel que la chaloupe ressente les ondulations du sillage. Mais je crois que les Roumains auraient beaucoup de peine à se germaniser : leurs défauts s’y opposent, et leurs qualités encore plus. D’autres enfin semblent avoir orienté leurs préférences du côté de l’Angleterre. Ils y ont acquis un sens délié des affaires et la rapidité de décision si remarquable chez les anciens sportsmen de Cambridge ou d’Oxford.

Sans cette faculté d’assimilation, je m’expliquerais mal la métamorphose presque soudaine des principautés du Danube. Mais ce n’est pas impunément qu’on a vécu, durant plus d’un demi-siècle, dans les coups de main et les coups de théâtre. Ce n’est pas impunément que le cœur s’est accoutumé à de pareilles péripéties ! il arriva un moment où les qualités qui avaient servi les Roumains faillirent se retourner contre eux. S’ils n’avaient pris la précaution de mettre à leur tête un prince étranger, et si ce prince ne s’était, de sa propre volonté, placé et maintenu au-dessus des partis, leur œuvre eût peut-être sombré. Les malheurs qu’ils avaient traversés sous l’anarchie de leurs boyars et la tyrannie de leurs Fanariotes leur avaient forgé un esprit politique dont ils ne connaissaient pas eux-mêmes toute la valeur. Dès que les événemens et les succès la leur révélèrent, ils ne conçurent plus d’autre forme à leur activité. Ces révolutionnaires heureux avaient fatalement gardé le goût des révolutions. Et lorsque, après la victoire, il s’agit d’organiser le pays, ils se résignèrent difficilement aux labeurs plus obscurs. De nouveaux partis se formèrent dont les désaccords théoriques assez insignifians ne justifiaient guère la fureur, mais dont les passions prouvaient, en ce jeune royaume, une surabondance d’énergies que son autonomie enfin conquise avait abandonnées à elles-mêmes sans but et sans emploi. Complots, commencemens d’insurrections, agitation anti-dynastique, bagarres dans les rues ou autour des scrutins, dilapidation des finances, renversemens des ministères : tels furent les dangereux incidens dont ces hommes, qui s’étaient développés dans une atmosphère d’émeute, et que la sécurité