Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/938

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’il eût ignoré jusque-là les usages et la procédure de son pays. Il épouse une coquette, installe auprès d’elle son meilleur ami, et s’étonne des conséquences. Cet Alceste est incorrigible, et le fond de son humeur est décidément une espèce d’incapacité à s’adapter aux conditions élémentaires de la vie sociale.

M. Mayer a été excellent de distinction, de chaleur, de style, dans le rôle d’Alceste. Il y a remporté un grand et légitime succès. Autour de lui Mme Lara, MM. Croué, Dessonnes, Brunot ont complété un ensemble des plus sortables.


Il faut grandement remercier Mme Sarah Bernhardt d’avoir monté Angelo tyran de Padoue. Car sans elle nous n’avions guère de chance de voir à la scène ce vieux mélodrame, dont on dirait que c’est le plus mauvais qu’ait écrit Victor Hugo, si l’on ne craignait de faire tort à Lucrèce Borgia et à Marie Tudor. L’impression générale a été celle d’un ennui morne. Et pourtant que de bonne volonté déployée par l’auteur, que d’application ! Tout y est : la croix de ma mère, la clef mystérieuse, le narcotique, le poison, les épées, et les corridors secrets, les portes dérobées, toute l’architecture, tout le vestiaire, toute la pharmacie spéciale à ce genre de pièces. Chaque personnage y figure dans son rôle convenu : le tyran féroce et imbécile, le Jeune premier proscrit et fatal, le traître démoniaque, la comédienne sublime en opposition avec Mesdames les grandes dames. Et les travestissemens, et les déguisemens, et les chasses-croisés ! Ici personne qui soit ce qu’on le croit être. Rodolfo est Ezzelino, l’aventurier est un prince, l’idiot est un esprit, l’homme qui dort est un chat qui guette. Et les phrases à effet ! « Oh ! le conseil des Dix, parlons-en bas !… Savez-vous ce que c’est qu’une mère… Savez-vous ce que c’est que Venise ? Venise, je vais vous le dire… Ce que c’est que ceci, Madame ? c’est une comédienne… Vous avez devant vous une heure !… Il faut que cette femme meure, c’est une nécessité. » Ou encore, cette réflexion qui traduit si bien l’opinion secrète du public : « Que de paroles inutiles, mon Dieu ! »

On se demande comment il se fait qu’avec tout cet attirail, Victor Hugo soit arrivé à un si mince résultat. Comment se peut-il qu’il n’ait réussi ni à nous effrayer, ni surtout à nous amuser ? On songe à ce qu’aurait pu faire avec une telle matière l’auteur de la Tour de Nesle. C’est qu’il a manqué à Victor Hugo cette grande qualité : la bonhomie. Alexandre Dumas fils aimait à raconter qu’un jour, comme il était allé rendre visite à son père, on lui interdit la porte du cabinet de