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anime jusqu’aux moindres nuances. Et toujours, derrière le tableau, c’est surtout la figure même du peintre qui nous attire, avec l’imprévu, la liberté, l’ironique et profonde sagesse de ses sentimens.


En politique comme en religion, Fontane est résolument conservateur. Il l’est par goût naturel et aussi par raison, son expérience l’ayant convaincu sans cesse davantage de ce qu’il appelle « la banqueroute des superstitions scientifiques du XVIIIe siècle. » Il estime que c’est folie, pour l’humanité, de vouloir vivre sans un certain fonds de croyances, voire d’illusions, admises d’avance et conservées à tout prix. Il raconte que le journaliste Bücher ayant autrefois envoyé de Londres à un journal allemand des articles où il raillait le parlementarisme anglais, le directeur du journal, le vieux Zabel, lui a renvoyé ses articles avec cette remarque : « A quoi croirions-nous encore, si nous ne pouvions plus croire à l’Angleterre ? » Et il ajoute : « Je m’en tiens tout à fait à ce point de vue du vieux Zabel. J’affirme qu’il y a certaines grandes choses, à nous transmises par la tradition, auxquelles nous sommes tenus de croire, si nous ne voulons pas nous noyer irrémédiablement. Tout est discuté, tout est nié, c’est vrai : mais, tout de même, il y a deux ou trois choses qui se présentent à nous avec une valeur pratique et une autorité éprouvées ; et il est insensé, à mon avis, de les rejeter, jusqu’au jour où l’on aura trouvé mieux pour les remplacer. »

Parmi ces choses nécessaires figurent, notamment, la religion et l’État. « Toujours les hommes, pour être maintenus en ordre, auront besoin d’une discipline religieuse ou temporelle. On s’est imaginé naguère pouvoir y substituer la culture, et l’on nous a glorifié l’obligation scolaire et l’obligation militaire. Et maintenant nous assistons au gâchis qui en est résulté. L’instruction forcée a créé un état de demi-lumières qui a détruit les derniers restes de l’autorité ; le service militaire obligatoire a organisé les masses sauvages en bataillons socialistes. Après cela, je reconnais que la tentative avait à être faite : mais Rousseau n’en avait pas moins raison qui, dès 1750, écrivait que ce n’est point par les arts et les sciences qu’on gouverne les hommes. » La noblesse même, l’ancienne aristocratie héréditaire, compte, aux yeux de Fontane, parmi les institutions qui méritent d’être respectées. « Être d’une famille, il n’y a plus guère que cela qui me paraisse enviable. Dix générations de Schultzes et de Lehmanns ne sont pas, à beaucoup près, aussi intéressantes que trois générations d’une seule branche des Marwite. Celui qui voudrait supprimer la noblesse, celui-là