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la bête noire ; et les agens diplomatiques du Conseil exécutif, bons courtisans des clubs parisiens, flattaient cette manie. Ne pouvant négocier, ils espionnaient et dénonçaient. Ils dénonçaient les émigrés de toutes couleurs, par préférence les constitutionnels. Une dépêche signale le luxe de Narbonne, qui « a une maison, une voiture et deux domestiques, dépense avec profusion et paye une demi-guinée la moindre commission. » Une autre s’en prend à Louis de Noailles, à qui sa chevaleresque étourderie de la nuit du 4 août n’avait pas fait trouver grâce pour son rang et son nom. Duport est désigné comme « le conspirateur peut-être le plus criminel. » Mathieu de Montmorency, qui s’était lancé avec une sorte de candeur dans toutes les chimères égalitaires et humanitaires de la Révolution ; Chapelier, auquel est réservée la guillotine quand il retournera à Paris ; Stanislas de Girardin qui, plus heureux, deviendra préfet de l’Empire, toute « la bande des constituans et constitutionnels, » ainsi que disent ces pièces diplomatiques qui ont des airs de feuilles de police, est jetée en pâture aux soupçons et aux fureurs des forcenés de Paris. Mais le nom qui revient le plus souvent sous les plumes des délateurs, est celui de Talleyrand. Ses moindres démarches sont épiées, ses moindres paroles enregistrées. Chauvelin, lorsqu’ils s’étaient revus, l’avait amicalement accueilli ; au commencement d’octobre, il louait, près de Lebrun, son altitude patriotique, et le montrait tout joyeux de la victoire de Valmy. Bientôt, il craindra que sa fidélité au fugitif ne le compromette ; il trouvera moyen que son ministre apprenne qu’il est « brouillé » avec Talleyrand. Si Chauvelin, menacé lui-même par ses jaloux, ne pousse pas très loin l’attaque, Noël est moins réservé. Vrais ou faux, celui-ci ramasse tous les commérages, même contradictoires, qui peuvent éveiller la défiance. Un jour, il montre Talleyrand en conciliabules fréquens avec Fox, « Des gens qui tiennent au gouvernement, s’empresse-t-il d’ajouter, m’assurent qu’il ne jouit ici d’aucune estime, ni d’aucun crédit. » Une autre fois, il écrit : « Je sais positivement que l’évêque d’Autun a eu trois conférences avec lord Grenville, et que les dispositions paraissaient fort bonnes. Je ne tiens pas cette nouvelle directement du citoyen Talleyrand, n’ayant avec lui aucune communication. » Si Talleyrand s’éloigne de Londres avec Mmes de La Châtre et de Flahaut, peut-être simplement pour respirer en paix, ne serait-ce pas qu’il conspire ? S’il dîne