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ressentit la solitude où il retombait. Il voulut la tromper en lui écrivant sans cesse, mais ce n’était plus le soutien de chaque jour. « Je ne sais que faire, gémit-il ; je m’ennuie ici, je suis excédé de ne pas avoir de nouvelles de France, ou plutôt des personnes que j’aime ou que je connais en France. Personne ici tout à fait selon mon esprit ou selon mon cœur[1]. » Narbonne et Mme de Flahaut, restés à Londres, ne lui suffisaient pas. Il suppliait son amie de lui envoyer de longues lettres, à chaque courrier. Bientôt, il n’aura plus qu’une idée : aller en Suisse, la rejoindre ; et il déclarera : « Ce qui est vrai au dernier degré, c’est que je ne connais de manière d’être décente et douce que dans notre réunion, et vous savez ce que j’entends par notre. » Quand il ne lui écrivait pas, il s’occupait encore d’elle. En septembre, il s’emploie à faire paraître chez un libraire de Londres les Réflexions sur le procès de la Reine, qui lui paraissent remplies « de belles et de spirituelles choses[2]. » Si Marie-Antoinette, continue-t-il, « est assez heureuse pour pouvoir être sauvée par un bon livre, elle le sera par votre ouvrage[3] . » Et il corrige lui-même les épreuves, il les fait revoir par son ami Sainte-Croix ; il s’inquiète de la mise en vente ; il prépare des articles pour les journaux anglais.

Un moment, les événemens de Toulon, qui venait de s’insurger contre la Convention et de proclamer Louis XVII, firent diversion à son souci. Il entrevit une possibilité de rentrer en scène, de rejouer un rôle. Il échafauda des projets, et ce fut à son amie qu’il s’empressa de les confier. La Constitution, lui écrivait-il, est le seul mot capable de rallier les esprits. « Mon vœu serait que les districts des départemens méridionaux, qui ont déjà fait connaître leur attachement à cette Constitution de 89, rappelassent à Toulon ou ailleurs les députés de l’Assemblée constituante. On aurait une Assemblée, et c’est l’essentiel : car il n’y a qu’une Assemblée qui puisse avoir longtemps une popularité assez forte pour aller en avant. Cette Assemblée serait convoquée par les districts et départemens méridionaux, et alors on pourrait bien dire qu’elle ne serait point sous l’influence des puissances étrangères. » Déjà, il proposait le prince de Conti pour être lieutenant général du royaume, avec Narbonne et Sainte-Croix

  1. 20 août 1793. (Revue d’Histoire diplomatique, année 1890.)
  2. Talleyrand à Mme de Staël, 28 septembre 1793.
  3. Talleyrand à Mme de Staël, 3 octobre.