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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/198

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elle a su parler de l’amour avec un sérieux presque tragique, comme d’une chose grave et sainte, supérieure à tout, et dont il fallait « se faire un devoir ; » elle a reproché aux hommes de sa génération « le peu d’importance qu’ils y mettaient ; » elle a trouvé des mots d’une « tristesse passionnée » pour faire sentir « l’affreux malheur de n’être point aimée : » « tout était couvert, dit Pauline, par cette douleur déchirante que je n’étais plus aimée... Je me croyais presque coupable de ce qu’il ne m’aimait plus... La terre entière à mes genoux ne m’aurait pas dédommagée du cœur que j’avais perdu. » La confession d’Adélaïde mourante[1], où l’amour sensuel est comme exalté et purifié tout ensemble par l’ardeur religieuse, ne serait indigne ni de Prévost, ni même de Rousseau ; mais il y a quelque chose de plus douloureux et de plus vrai dans la plainte d’une Manon ou d’une Julie.

Mme de Tencin se complaît plus volontiers dans l’analyse des sentimens plus humbles et plus mélangés. Amours qui naissent, tristesses qui s’endorment, ou qui se pénètrent de « douceurs, » émotions qui s’apaisent, cœurs incertains qui s’écoutent, — elle a, pour se mouvoir dans ces demi-brouillards de l’âme, des formules claires et brèves qui sont un plaisir pour l’esprit, tant elles disent en leur précision condensée : « Cet homme qu’il fallait haïr pour se sauver de la honte de l’aimer. » — « Nous nous parlions moins ; les choses que nous nous disions autrefois, n’étaient plus celles que nous eussions voulu nous dire. Il n’y perdait rien ; je l’entendais sans qu’il me parlât. » — « Quand je ne le voyais plus, je subsistais de cette joie douce dont il avait rempli mon cœur. » — « Il ne lui manquait, pour avoir de l’esprit et du mérite, que la nécessité d’en faire usage. » — « Je crois que je l’aurais dispensé de m’aimer en ce moment, et qu’il m’eût suffi qu’il se fût montré digne d’être mon amant. » — « Elle en était touchée, mais n’y était point sensible. » — « Moins elle l’aimait, plus elle croyait lui devoir. » — « Quoiqu’elle parlât d’amour, elle n’était point tendre. » — « Je lisais dans ses yeux que le plaisir d’être aimé ne lui laissait point d’attention pour les peines que ma tendresse me donnait. » — « Comme je n’examinais point mes sentimens, je ne me donnais pas le tourment de les combattre. » — « Rien n’était plus plaisant que les peines

  1. Dans les Mémoires du comte de Comminges.