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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/245

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d’opale et le pavé grisâtre. Il porte à son sommet, tout embrouillé dans les dernières branches, un paquet de petites étoiles. C’est de bon augure.

Arriver quelque part en pleine nuit, ne connaître personne, n’y être attendu par personne ; y venir on ne sait trop pourquoi ; ouvrir sa fenêtre et rencontrer, comme autant d’yeux qui vous feraient des signes, ces astres blancs si lointains, toujours les mêmes, — telle est la bienvenue dont je me suis contenté souvent, autrefois, dans des lieux moins hospitaliers, et après laquelle il est aisé de s’endormir avec le sentiment que le vaste monde est une auberge, qu’on n’est chez soi nulle part et qu’on est vraiment chez soi partout.

Il est tout à l’heure demain, peut-être même est-il déjà aujourd’hui et hier a-t-il disparu depuis que je vous écris. Encore un peu, car les nuits sont courtes en cette saison des jours sans limites, et Sainte-Gudule, que je ne vois pas du tout, dessinera sa flèche aiguë au Nord, et recevra le premier contact de l’aube. Mais je n’attendrai pas que le jour se lève. Il me suffit de vous avoir dit où je suis. Quant au dessein qui m’amène, il est des plus simples : voir de la peinture, n’en pas faire, oublier que j’en ai fait, et surtout le faire oublier, si je puis, à ceux qui me liront, si j’écris...


A Madame Eugène Fromentin.

Même jour, 4 heures et demie. — J’ai fait, de dix heures à midi, une longue et très attentive visite au Musée : c’est à deux pas de l’hôtel, même place. Si je pouvais amener successivement à ma porte toutes les beautés de la Belgique et de la Hollande, j’aimerais bien cela, au lieu de les aller chercher. C’est étonnant comme j’aime à voir et peu à aller voir. Pour que le monde fût fait à ma guise, il faudrait qu’il se déroulât en cercle autour de moi, que j’occupasse au centre un bon fauteuil et que je pusse admirer ce qu’il contient de rare et de beau comme on lit un livre, sans trop bouger. Il est cinq heures à peine, et voilà que j’en ai assez pour aujourd’hui, du Musée ancien ce matin, du Musée moderne tout à l’heure. Je me suis déjà créé un chez moi, où je rentre avec plaisir ; d’ailleurs il fait chaud, et le soleil est dur dans ce quartier très ouvert qui rappelle en petit les solitudes de Versailles.