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J’ai travaillé ce soir avant le dîner dans ma chambre. Je crois bien que je ferai quelque chose. Sera-ce bien, mal, nouveau, erroné ? Dans tous les cas, ce sera moi.

Adieu, chère… Bonne nuit, mes enfans ; tous en bloc, je vous embrasse tendrement. À toi, chère.

EUG.


A la même.


Amsterdam, mardi 20 juillet 1875.

Il est cinq heures passées, je reviens de Harlem…

J’ai fait ce que je voulais faire et vu très suffisamment ce que j’avais à voir, et je suis fort content. Ce que je connaissais de Hals ne suffisait pas, tant s’en faut, à me donner une juste idée de sa valeur, qui est considérable, au point de vue du métier pur. J’ai pris pas mal de notes, et je crois que j’ai sur ce maître, peu connu en son entier, et sur ses imitateurs de nos jours, un chapitre tout prêt, intéressant.

Et puis j’ai entendu l’orgue. Il est magnifique, tient toute la hauteur de la vieille église, jusqu’aux voûtes. C’est un monument somptueux, et d’une sonorité en même temps que d’une étendue rares.

Mais, devine quel est le premier morceau qui m’a accueilli, quand je suis entré dans ma stalle, et que j’ai pris place à côté d’un vieux Anglais, qui, par parenthèse, m’aurait bien distrait, si je n’avais été très particulièrement attaché ? L’andante de la douzième sonate de Mozart, ce dont j’ai raffolé ; tu sais, ce que mon cher mignon, mon petit David, jouait à son vieux père un peu maniaque quand il était dans ses humeurs noires[1].

Après cela, le Doux Martyre des Noces. J’étais ravi ; si j’avais à te dire tout ce que j’ai pensé, ce serait bien long, quoique cela n’ait duré que quelques minutes. J’ai demandé quel était l’exécutant qui faisait dire de si jeunes et si douces choses à ce grandiose instrument. On m’a dit que c’était un enfant de dix-sept ans, qui venait de succéder à son père, mort il y a deux mois, et qui promet de devenir un grand musicien.

J’ai bien fait d’aller à Harlem aujourd’hui ; et c’est un plaisir que je ne donnerais pas pour beaucoup de florins.

  1. Eugène Fromentin aimait la musique claire et distinguée. Mozart était son maître préféré.