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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/287

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de M. Boissier : après ce long commerce de près d’un demi-siècle, quelqu’un devait venir parler de lui à cette place où il a si souvent parlé lui-même.

Mais quand il n’y aurait pas eu, entre lui et nos lecteurs, ce lien en quelque sorte personnel, d’autres motifs, d’ordre plus général, nous engageraient encore à essayer de fixer ici son souvenir. Il avait vraiment une place à part dans les lettres, non seulement à cause du domaine d’études qu’il s’était approprié, mais aussi par le caractère de son talent, sain et aisé, nourri du passé sans pédantisme, et aussi robuste qu’agréable. Il incarnait, d’autre part, une forme d’érudition très particulière aussi, limpide, alerte et spirituelle, très française, semble-t-il. Enfin, dans son triple enseignement du lycée Charlemagne, du Collège de France et de l’École normale, il avait vu passer l’élite des générations qui se sont succédé depuis cinquante ans. Il avait eu je ne sais combien d’élèves, et de toute espèce. Il retrouvait dans ses souvenirs de professeur autant de noms de poètes, de philosophes, de romanciers ou d’hommes politiques, que de latinistes et d’archéologues, sans compter ceux qu’il avait oubliés, mais qui ne l’oubliaient pas, car il était de ceux dont l’empreinte, pour ne pas être brutalement imposée, n’en est pas moins ineffaçable. Il a donc joué son rôle dans l’histoire de l’éducation aussi bien que dans celle de la littérature et de l’érudition, et c’est toute cette activité, multiple et pourtant une, dont il importerait de déterminer le sens et la portée.

Nous tâcherons de le faire ici, très simplement et aussi précisément que possible, sans autre préoccupation que de démêler comment s’est formé cet esprit lumineux et charmant, — de noter les traits essentiels de son œuvre historique, — et de le suivre sur les autres terrains où les circonstances l’ont amené[1].


I

M. Boissier était né à Nîmes en 1823 ; il y passa toute sa jeunesse, et ne cessa jamais de conserver à sa ville natale le plus tendre attachement. Il revenait volontiers la voir ; il accueillait,

  1. Nous nous sommes surtout inspiré des renseignemens que M. Boissier donnait complaisamment à ses auditeurs dans ses abondantes causeries. Sur quelques points, nos souvenirs ont été précisés par son gendre, M. Edmond Courbaud, à qui nous adressons ici nos plus vifs remerciemens.