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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/290

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il se ressaisissait, reprenait conscience des divers motifs qui pouvaient lui rendre l’existence souhaitable, se remettait à travailler, et à sourire. Sa belle humeur, en partie instinctive, en partie voulue, servie du reste par un tempérament robuste et bien équilibré, apparaissait comme une condition nécessaire de son activité laborieuse.

Le Midi, dont il était, n’est pas seulement le pays de la lumière, c’est aussi, par excellence, le pays latin. Et entre toutes les villes de l’ancienne Narbonnaise, Nîmes est une de celles où le très lointain passé de notre peuple s’est conservé le plus vivant. « Aujourd’hui encore, dit M. Camille Jullian, il n’y a pas au monde, Rome exceptée, une ville aussi romaine. » « C’est bien le berceau qui convenait au futur peintre de l’antiquité latine : il était mieux préparé à la comprendre, puisqu’il appartenait à une race que, depuis d’innombrables années, elle a marquée à son empreinte. Sans vouloir insister sur cette obscure transmission d’une culture héréditaire, il ne saurait être indifférent de remarquer que, dès son enfance, M. Boissier se trouva en contact direct avec les choses romaines. De toutes parts le génie latin s’offrait à ses regards : il en pouvait goûter la grâce dans les restes du temple de Diane, l’harmonieuse mesure dans la Maison Carrée, la majesté dans les Arènes, la vigueur dans la Tour Magne, ou, à quelques lieues de là, dans le Pont du Gard. Quel commentaire, quelle illustration, devaient fournir, au jeune lecteur de Virgile et de Tacite, ces ruines rencontrées chaque jour à deux pas de chez lui ! Déjà ses flâneries d’enfant se trouvaient être des « promenades archéologiques. » S’il est vrai que l’âme prend toujours la forme imposée par les premières images que les yeux ont contemplées, on ne peut douter que la vocation de M. Boissier ne remonte très haut : à son insu, dès ses plus jeunes ans, il appartenait à Rome.

En même temps que l’influence exercée sur lui par le lieu de sa naissance, on peut discerner celle de la classe dont il était issu. Sa famille faisait partie de ce qu’on appelait alors la « bonne bourgeoisie[1]. » Il a dit plusieurs fois le bien qu’il

  1. Ses parens étaient quelque peu déchus au point de vue de la fortune, et il eut même une jeunesse pénible autant que laborieuse, qui ne put que le tremper fortement. Mais ses ascendans plus lointains avaient été à la tête de la bourgeoisie nîmoise ; quelques-unes avaient payé ces honneurs de leur vie en 1793. M. Boissier songea parfois à écrire une histoire de ses ancêtres, qui se serait en partie confondue avec celle de Nîmes.