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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/295

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qui peut nous révéler un coin intéressant du passé. En même temps qu’il écrivait ces rapides essais, il composait ses thèses de doctorat, qu’il soutint en 1857, et qui méritent davantage de retenir l’attention.

Sa thèse latine, dédiée à son ancien maître Ernest Havet, roulait sur cette question : Comment Plaute, dans ses comédies, a-t-il traduit les poètes grecs[1] ? Sa thèse française, dédiée à Patin, qui était en ce temps-là le chef des latinistes, et qu’il devait remplacer plus tard à l’Académie française, était une étude du poète Attius, et, avec lui, de toute la vieille tragédie latine. On ne peut nier que ces deux opuscules n’aient été dépassés : ils conservent cependant une réelle valeur, et surtout ils étaient neufs à leur date ; l’originalité de M. Boissier s’y dessinait déjà. Tandis qu’on était facilement docteur alors pour une dissertation sur la liberté, sur l’infini, ou sur la poésie épique à travers les âges, M. Boissier, avec une intrépidité de bon augure, allait droit à des sujets réputés difficiles : d’Attius comme des autres tragiques romains, il ne reste plus que de rares fragmens, qui venaient, il est vrai, d’être réunis par Ribbeck, mais qui prêtaient encore à plus d’une discussion ; et quant à Plaute, si ses comédies sont intactes, comme les pièces grecques dont il s’est inspiré ne le sont pas, le travail entrepris par M. Boissier se heurtait à une difficulté analogue. De plus, il quittait la littérature classique, presque seule exploitée jusqu’alors, pour s’enfoncer dans l’époque archaïque : les routes inexplorées le tentaient, et il se disait que ces périodes anciennes, trop dédaignées des délicats, contiennent le secret des âges glorieux qui viendront ensuite. Enfin il se révélait historien, dans ses deux thèses, par la manière dont le problème y était posé : comment des thèmes, tragiques ou comiques, empruntés à une littérature étrangère, se modifient-ils, à l’insu même des auteurs qui les traitent, par le seul fait de passer dans un autre pays ? C’était la question, on le voit, de la race et du milieu, du rapport entre l’œuvre d’art et la société qui l’entoure. Expliquant Plaute et Attius par les mœurs de leur temps, M. Boissier ramenait ce qui semblait n’être qu’une appréciation littéraire à une étude de psychologie historique.

  1. M. Boissier avait songé d’abord à une thèse sur Larivey, et c’est à propos de Larivey qu’il avait étudié Plaute. Mais Plaute le garda, et la littérature latine ne le rendit plus à la littérature française.