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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/316

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neuve, toujours ferme et mesurée, absolument comme il l’avait fait sur César ou Auguste. Deux chapitres, qui se suivent et se répondent, exposent, en toute franchise, les raisons qui rendent précieuses les informations de Saint-Simon et celles qu’on a de se méfier de lui : elles se balancent très également ; M. Boissier ne cède ni à la tentation de surfaire son auteur, ni au malin plaisir de le critiquer à tout propos ; il est juste envers lui, chose difficile quand il s’agit d’un auteur si peu juste lui-même Mais au fond peu importe à M. Boissier qu’il y ait dans les Mémoires tant d’assertions contestables : l’essentiel est qu’ils lui révèlent, en même temps que la personnalité si curieuse de celui qui les composa, un côté inédit de la société d’alors. Il sent très bien que leur mérite incomparable, plus que la verve du polémiste, plus que la hardiesse imagée du style, c’est l’intensité de l’évocation qui s’en dégage ; et, dans une spirituelle conclusion, il montre que Saint-Simon peut seul repeupler pour nous le « désert » de Versailles. Même, il n’est pas loin de penser que, par ses médisances cruelles, l’observateur fait du bien à ses pires ennemis, puisqu’il nous les a rendus plus humains et plus présens : « Si le siècle ne nous semble plus aussi parfait que nous nous l’étions imaginé, il deviendra plus vivant, ce qui est le premier de tous les mérites. Nous l’admirerons peut-être un peu moins de cette admiration béate, qui se transmet par tradition, mais nous lui serons plus attachés, et nous trouverons à l’étudier l’intérêt qu’on prend aux choses qui respirent. » Ces derniers mots nous paraissent caractériser aussi bien M. Boissier que Saint-Simon lui-même, et marquer le point par où pouvaient entrer en contact deux natures d’ailleurs si dissemblables. La vie, la vie réelle, non arrangée ni idéalisée, voilà ce que M. Boissier cherchait avant tout, ce qu’il a trouvé chez Saint-Simon, comme chez Mme de Sévigné, comme chez Cicéron, Tacite ou Martial, et c’est pour l’y avoir trouvé qu’il lui a volontiers pardonné ses chimères de réformateur, ses erreurs, ses colères, et ses fautes de français.

Ces deux élégans petits livres sur Mme de Sévigné et sur Saint-Simon se ressemblent à beaucoup d’égards. Ils ont je ne sais quoi de plus leste et de plus dégagé peut-être qu’aucun autre ouvrage de M. Boissier : on croit sentir qu’ils ont été écrits comme par délassement, entre deux études de philologie ou d’épigraphie latine. A eux deux, ils représentent l’apport de