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dont le récit, tout en perdant ce dernier, aurait amplement suffi à le justifier lui-même. Et non seulement Laukhard n’eut pas à souffrir de cette arrestation de Dentzel : il a l’inconscience de nous rapporter que, pendant que son bienfaiteur attendait de passer en jugement, il réussit même, pour son compte, à s’insinuer dans les bonnes grâces du général Laubadère, — sans doute en continuant à le renseigner sur ce qu’il pouvait avoir connu des secrets de l’armée allemande.

Il y a d’ailleurs un passage de ses souvenirs qui nous fait voir, de la manière la plus significative, le bizarre mélange de sentimens contradictoires qu’avaient créé, dans cette âme de « drôle, » une sympathie instinctive pour les idées républicaines, une peur affolée d’être pris en faute, et la persistance d’un certain respect pour la discipline militaire, sinon pour une forme plus élevée de l’obligation morale. Un jour, pendant les dernières semaines du siège de Landau, les officiers français, aussi confians dans son « civisme » que l’avaient été naguère ses chefs allemands dans son loyalisme, lui ont demandé s’il n’accepterait pas de sortir de la place, pour tâcher d’informer de leur situation le commandant d’une armée de renfort. Le projet n’a pas abouti : mais Laukhard reconnaît qu’il a consenti très volontiers à se charger de cette nouvelle mission. Voici en quels termes il nous explique la conduite qu’il comptait tenir, si la chance lui avait permis d’échapper au voisinage, de plus en plus angoissant pour lui, de son trop honnête cousin le conventionnel :


Je puis affirmer solennellement au lecteur que j’avais, dans l’esprit, un double plan. En vérité, j’aurais tout essayé pour nie glisser, sans être surpris, à travers les lignes prussiennes. Mais, au cas où ce bonheur ne m’aurait pas été donné, je me serais fait amener devant le général de Knobelsdorf, et lui aurais exposé l’insuccès de mes efforts pour obtenir la reddition de Landau. Et que si, au contraire, j’avais pu arriver librement jusqu’auprès des généraux français, je les aurais obligés envers moi en leur rendant compte, bien au juste, de l’état de la ville assiégée : ce qui m’aurait aidé à détruire d’avance tout soupçon pouvant être, ensuite, formé contre moi.


Cet « état de la ville assiégée, » dont Laukhard était prêt à rendre compte, suivant le cas, au général prussien ou au général français, il nous l’a décrit, dans son livre, avec une foule de détails instructifs qui font peut-être, des chapitres qu’ils remplissent,