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permettre de circuler librement par les rues de Strasbourg : mais Laukhard n’en a pas moins conservé de lui un souvenir si excellent que, deux ans plus tard, revenu en Allemagne, il s’est obstinément refusé à tenir pour vraie aucune des accusations portées contre lui, — tout de même qu’il continuait à soupçonner une simple calomnie de la « réaction » dans le bruit public qui reprochait au « vaillant » Collot d’Herbois d’avoir été acteur.


C’est à Lyon, ou plutôt à « Commune-Affranchie, » qu’il eut l’occasion d’approcher ce dernier personnage, et même de travailler, quelque temps, sous ses ordres : car la tentation lui était venue, au sortir d’Alsace, de troquer la profession, trop peu lucrative, de déserteur allemand contre celle de soldat dans un bataillon de « l’Armée révolutionnaire. » L’échange avait été décidé dans un cabaret de Mâcon, où l’un des futurs compagnons d’armes de Laukhard l’avait enrôlé en lui faisant boire une bouteille de bourgogne « à la santé de la République. » Ce simple et rude héros lui avait dit : « Ainsi, tu te proposes d’aller à Lyon ? Eh bien ! si tu veux, nous partirons ensemble après-demain ! Car un gaillard comme toi, f..., est fait tout exprès pour servir dans notre corps ! Et maintenant, avale-moi ça ! » L’ancien professeur avait « avalé ; » et, dès le lendemain, il avait revêtu le pittoresque uniforme des « sans-culottes. » Il nous raconte que, « sur le chemin entre Mâcon et Lyon, la petite troupe s’est arrêtée, au moins une demi-heure, dans tous les cabarets, où elle a bu sec, et n’a payé que très rarement. » Et il ajoute : « Ayant encore une bonne provision d’assignats, j’étais toujours enclin à payer ; mais les autres m’engageaient à n’en rien faire, attendu que tout le pays d’alentour était infesté d’aristocrates et d’amis des curés, qui devaient être déjà trop heureux qu’un brave sans-culotte se contentât de boire leur vin, sans leur tordre le cou par-dessus le marché. »

A Commune-Affranchie, la charge principale du bataillon où servait Laukhard consistait à former une escorte d’honneur autour de la guillotine. En vain l’ex-professeur de l’université de Halle, « maître en philosophie » et écrivain estimé, avait-il fait mine de vouloir se soustraire à cette tâche imprévue. « Un véritable ami des hommes doit prendre plaisir à voir couler le sang des aristocrates ! » lui avaient répondu ses chefs