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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/392

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officiers allemands, prisonniers de guerre à Dijon, lui avaient demandé de leur apprendre le français. Tout son récit de ces mois passés à Mâcon et à Dijon est rempli d’observations des plus précieuses pour l’histoire du régime de la Terreur en province. Mais lui-même allait avoir, bientôt, à découvrir les inconvéniens d’un régime dont la pratique, jusqu’alors, ne lui avait pas été moins agréable que les théories.


Pendant qu’il se régalait de « tisane, » à Dijon, l’idée extraordinaire lui avait passé en tête d’écrire au représentant Dentzel, pour lui demander un emploi à Paris. Dentzel se trouvait, à ce moment, en prison ; la lettre de son correspondant dijonnais, interceptée par le Comité de sûreté générale, eut pour résultat l’ordre d’emprisonner immédiatement le pauvre « infirmier subalterne. » Il y eut là, pour lui, de bien dures journées, et qui auraient sans doute été suivies d’un quart d’heure plus dur encore, — malgré l’indifférence acquise naguère, à Lyon, pour le spectacle de la guillotine, — si Dentzel n’avait pas héroïquement persisté à passer sous silence un certain détail de ses relations avec son ce-accusé. Toujours est-il que, la crise de Thermidor ayant tout à coup relâché la rigueur de ses juges, Laukhard eut enfin l’immense satisfaction de se voir acquitté, sans autre dommage matériel que la perte simultanée de son emploi d’infirmier et de ses leçons.

Dans les derniers jours de décembre 1794, un décret de la Convention autorisa le renvoi de tous les déserteurs non-allemands ; et Laukhard, s’étant aussitôt fabriqué un faux acte de baptême qui le représentait comme né dans la ville libre d’Altona, sortit de France avec plus d’empressement encore qu’il en avait mis à y pénétrer. Inutile de dire que les aventures ne lui manquèrent pas, sur tout son chemin jusqu’à la frontière, et puis dans les villes et villages de Suisse où il eut à passer ; mais la plus étonnante de toutes ces aventures est, bien certainement, celle qui lui échut à Fribourg-en-Brisgau, où dans une auberge, la rencontre fortuite d’un « ci-devant, » le marquis d’Aulnoy, le décida à s’engager dans l’« armée des princes ! » — « Ce gentilhomme, qui racolait des recrues, avec l’argent anglais, pour le prince de Rohan, me promit dix louis d’or de prime, et, tout de suite, un rang de sous-officier, avec une solde de 24 kreutzers. La chose me plut fort ; et, comme l’on peut toujours faire de moi