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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/456

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les apparences, il n’y a eu que rencontre fortuite : le sujet était dans l’air. M. Michaut, poussant son analyse, n’a pas été embarrassé de montrer que Bérénice est un modèle de cette tragédie psychologique inventée par Racine : c’est quelque chose comme le drame racinien sans mélange et à l’état pur. Je crains, après cela, qu’il n’ait exagéré l’importance relative de l’œuvre. Elle marquerait l’instant où Racine, justement parce qu’il a obtenu la suprême satisfaction dans sa lutte contre Corneille et qu’il a réalisé la plénitude de son idéal, se détache de la vanité littéraire. Jusque-là, et l’étude de ses préfaces l’atteste, Racine avait été, au plus mauvais sens du terme, l’homme de lettres, orgueilleux, susceptible, agressif ; désormais tout change : le poète, content d’avoir déployé toute sa maîtrise, renonce à la polémique. Et alors, « ce n’est plus seulement par la chronologie que Bérénice est au centre de son œuvre : elle est encore la pièce centrale, parce que, jusqu’à elle, à chaque fois davantage. Racine a ambitionné le succès et tout fait pour l’obtenir, tandis qu’à partir d’elle, il s’en est, je n’ose dire désintéressé, mais pourtant détaché davantage. Ainsi, loin d’être dans sa vie littéraire une « faiblesse, » il y a des chances pour qu’elle soit ou son œuvre maîtresse ou tout au moins sa tragédie type. » Qui ne sent que ces mots sonnent trop fort et qu’ils sont écrits trop gros ? M. Michaut n’obtiendra pas que nous « ordonnions » toute l’œuvre de Racine autour de Bérénice. Trop est trop. Il reste que dans la décision prise par Racine de renoncer au théâtre, décision préparée de longue main et dont l’échec de Phèdre ne fut que l’occasion, les motifs purement littéraires sont entrés pour la moindre part. Certes sa carrière n’avait pas été sans amertumes, mais il avait eu de telles compensations ! Il avait été très discuté, très combattu ; mais il avait remporté de telles victoires ! Il avait des ennemis, acharnés et perlides ; mais sur quels amis il pouvait compter ! Nous n’arrivons pas à plaindre outre mesure un poète qui a pour lui la faveur du Roi et l’assentiment de Boileau ! Racine était d’épiderme très chatouilleux ; il l’était beaucoup moins sans doute que tant d’autres artistes que nous connaissons et chez qui la vanité dégénère en maladie. On n’en est pas à compter les écrivains qui, après épuisement total, ne lâchent tout de même pas la partie et s’obstinent aux redites ; mais il est à peu près sans exemple qu’aucun se soit condamné au silence, quand il avait encore beaucoup à dire et qu’il était en possession de tous ses moyens d’expression. Or Racine a trente-sept ans ! Et telle est encore eu lui la sève productrice, telle est la puissance de renouvellement, que quatorze ans plus tard, et par accident, il écrivait Athalie. Non, les