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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/52

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Cromwell, non pas le plus grand, mais le plus singulier et le plus sensé des grands personnages révolutionnaires ; le seul qui ait joué les deux rôles, faire et défaire la révolution, pousser et retenir, commencer et finir. Je m’amuse à le bien comprendre ; je ne connais pas de plus vrai Anglais ; hardi et contenu dans son ambition ; aspirant à tout, excepté à l’impossible ; joueur aussi prudent qu’effréné. Je ne quitte Cromwell que pour lire avec Guillaume (mon Guillaume à moi, non pas celui de l’Angleterre) un peu de Tacite et de Thucydide. Vous voyez que je vis en bonne compagnie. Je n’ai pas perdu, grâce à Dieu, la faculté de m’y plaire. Je comprends le regret et le désir. Je n’ai jamais connu l’ennui. Je puis mettre sous clef les trois quarts de mon âme et vivre passablement avec l’autre quart.

Et vous, que faites-vous ? Peut-on travailler dans l’atmosphère où vous vivez ? Vous serez bien aimable de me dire quelquefois ce que vous devenez et ce que vous pensez. Mme Lenormant sait les occasions pour m’écrire. J’espère que vous êtes content de la santé de Mme de Lavergne. Et madame votre mère ? Mes enfans vont très bien. Je suis content d’eux matériellement et moralement. Dans les premiers jours d’août, je les mènerai en Écosse, à Saint-Andrews, petite ville savante et économique, où l’on prend des bains de mer à très bon marché, à côté d’une belle bibliothèque et au milieu d’une université établie dans l’ancien palais du Parlement d’Écosse près de l’ancien palais de Marie Stuart.

À propos de l’Université, je suis bien aise que vous sachiez un peu exactement ce qui s’est passé entre Oxford et moi. Un M. Taylor a fondé là naguère, et doté richement une chaire, un collège, un bel édifice pour l’enseignement des langues et des littératures continentales, ce sont les chefs de l’Université qui doivent élire. Les principaux m’ont fait offrir de me nommer ; comme de raison, j’ai refusé, et par un motif parfaitement convenable et pour eux et pour moi. J’ai dit que je ne pouvais, ni ne voulais rien faire qui eût seulement l’air de m’établir hors de mon pays.

Le fait a transpiré, le fait de l’offre avant le fait du refus ; il y avait des prétendans anglais ; ils ont pris de l’humeur ; quelques journaux ont réclamé, au nom de l’honneur national, contre cet appel à l’étranger. Je n’y ai fait nulle attention. Je suis allé à Oxford (où je n’étais jamais allé) à l’occasion d’une grande