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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/55

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Je ne sais si nous saurions déjà, si nous saurons jamais comprendre et mettre à profit un exemple bien frappant et bien applicable. Je suis ici dans un pays qui, après avoir fait sa Révolution en 1688, a eu, coup sur coup, deux rois qui ne savaient pas un mot de sa langue, dont les mœurs et les façons lui étaient antipathiques, qui ne consentaient qu’avec humeur à se montrer dans leur royaume et ne cherchaient que les occasions d’en sortir ; deux rois à qui l’Angleterre déplaisait et qui lui déplaisaient. L’Angleterre a compris que ce n’était pas de plaisir ou de déplaisir qu’il s’agissait pour elle, qu’elle n’avait pas appelé George Ier et George II à cause de leurs mérites ou de leurs agrémens personnels ; qu’elle avait besoin d’eux et que, n’en ayant pas de rechange, elle devait, dans tout ce qui n’était pas vital, leur passer leurs fantaisies et ne point se passer envers eux les siennes propres.

Elle a ainsi fait, et, en gardant ses rois tels quels, elle a gardé sa prospérité, sa liberté, sa dignité et son repos. C’est pour n’avoir pas su en faire autant que la France a roulé dans l’abîme ; et sortît-elle bientôt de l’abîme, elle y retomberait à la première occasion, si elle n’apprend pas à subordonner ses goûts à ses intérêts et à supporter les défauts, les inconvéniens, à payer le prix des institutions et des personnes dont elle ne peut pas se passer. C’est là ce qu’il faut lui répéter sur tous les tons et lui inculquer par tous les pores. Si elle pouvait comprendre que c’est elle qui a eu tort, quelles qu’aient été ailleurs les faiblesses et les fautes, ce serait là le vrai progrès, le progrès décisif. Je suis tenté de croire qu’il n’est pas impossible de le lui faire comprendre. Qu’en pensez-vous ?

Voici un autre point sur lequel je tiens à avoir votre avis. Qu’y a-t-il de sérieux dans le travail de rapprochement et de fusion entre les deux élémens du parti de l’ordre en France, les légitimistes et les bourgeois conservateurs, travail à la suite duquel viendrait la réconciliation des deux branches de la maison royale ? Est-ce là une idée dont causent entre eux des gens d’esprit, ou un événement en cours de préparation ? Le public se préoccupe-t-il de ce travail, et qu’en dit-il ? où en sont, spécialement dans le Midi, les rapports des légitimistes et des conservateurs ? On me dit, on m’envoie, on me montre à ce sujet beaucoup de choses diverses et confuses. Je désire connaître votre opinion.