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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/583

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Anglais qu’il y a cinquante ans. La relation de l’individu à l’Etat s’est modifiée au profit de celui-ci : bien plus qu’autrefois, il contrôle, limite, agit. Par ses inspecteurs, ses commissaires, il entre à présent dans les écoles, les ateliers, l’usine, les magasins, les banques. Les bousculades de la concurrence ne sont plus tout à fait libres ; ses plus choquantes cruautés sont réprimées. Avec plus de décision encore, les villes, invoquant l’intérêt public, empiètent sur les domaines réservés jusque-là aux initiatives privées, et se posent, par des entreprises qu’on a pu qualifier de socialistes, en communautés véritables, en petites républiques, en cités au sens ruskinien du mot. Elles n’étaient que nombre, agglomération anonyme et confuse : par les tentatives d’une architecture municipale qui renaît, par leurs hôtels de ville et leurs musées, tente de se produire aux yeux leur vie nouvelle, à la fois personnelle et collective, le nouvel esprit public qui anime et associe leurs citoyens. Ainsi, local ou national, partout le groupe semble chercher sa forme organique, personnelle et son unité, et le progrès se fait dans le sens indiqué par Ruskin.

Aussi clairement que par les institutions politiques et la législation, la même tendance à la cohésion s’atteste par l’uniformité croissante des modes de vie, de pensée et de sentiment. L’Anglais, que les observateurs psychologues, confirmant et précisant le jugement sommaire des peuples, définissaient autrefois par son excentricité d’individu, se révèle aujourd’hui étrangement grégaire et sociable. Par-dessus les barrières des castes, des métiers, des provinces, par-dessus les murailles bien autrement farouches des sectes où l’on s’enfermait obstinément pour condamner à l’enfer tous ceux qui restaient au dehors, et refuser de rien connaître du dehors, quelques idées simples et contagieuses se propagent, imposant à des millions d’hommes mêmes rêves, mêmes gestes, mêmes physionomies, mêmes façons de comprendre et de désirer la vie. C’est là d’ailleurs un trait général à tout le milieu moderne. Par la vitesse, à présent instantanée, des communications, chaque mouvement de pensée qui naît au centre d’une nation la traverse aussitôt, la soumettant tout entière aux mêmes modes, aux mêmes types, aux mêmes prestiges.

Considérons la plus importante de ces idées dont le champ d’activité est un peuple : celle du bien, de la perfection humaine,